Vingt-trois jours de haine – Une enquête de Frédérique Santinelli et de Guillaume Volta (Steve Laflamme)


Steve Laflamme. – Vingt-trois jours de haine – Une enquête de Frédéric Santinelli et de Guillaume Volta. – Montréal : Libre Expression, 2024. – 411 pages..

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

Frédérique Santinelli, professeure de littérature habituée à collaborer avec la police, reçoit un livre dédicacé dont l'histoire est une espèce de manuel d'instructions pour faire souffrir sa femme.

D'abord dégoûtée par les horreurs que dépeint l'œuvre, elle croit y déceler un code caché qui révélera bientôt le nom de Caroline Généreux, victime de violence conjugale disparue depuis plus de deux ans. Santinelli fait appel au lieutenant-détective Guillaume Volta et le duo se lance dans une enquête guidée par les informations dissimulées dans cet effrayant manuscrit.

 

 

Commentaires :

 

Si vous avez aimé comme moi Les Agneaux de l'Aube, la première enquête de Frédérique Santinelli, professeure de littérature à l’Université Laval et Guillaume Volta, lieutenant-détective de la Sûreté du Québec parue en 2023, vous serez happé,e par ce tourne-page. Et n’ayez crainte, malgré son titre, la couverture de première et le synopsis, cette sombre histoire est « moins angoissante » qu’elle n’y paraît. L’auteur a su habilement « montrer les laideurs dont sont capables les hommes qui n’aiment pas les femmes » comme il me le mentionnait dans sa dédicace.

 

Suite logique du premier tome – de nombreuses références en faisant foi –, Vingt-trois jours de haine est un récit rempli de péripéties extraordinaires et extravagantes mettant en scène une panoplie de personnages aux fantasmes déviants, possédés du démon de la perversité, avec comme artefact central un livre effrayant, Le Calendrier de Tityos, un ouvrage signé par un mystérieux Oussef Lippman-Poliquin, aux références puisées dans la mythologie grecque. Vous y découvrirez, entre autres les mythes de Tityos, « l'homme dans l'amour gisant, lacéré par ses vautours, les angoisses dévorantes, ou celui que déchirent les affres d'autres passions ». Et celui de la Stryge, démon femelle ailé, mi-femme, mi-oiseau, qui pousse des cris perçants, dont la représentation la plus célèbre est celle de la sculpture qui orne la cathédrale Notre-Dame de Paris.

 

Tityos               Stryge

 

Des références à L’Étude d’après le portrait du pape Innocent X par Vélázquez de Francis Bacon et au Jardin des délices de Jérôme Bosh évoquent l’ambiance glauque de cette fiction.

 

L’action se déroule principalement à Québec, dans la région montréalaise et aussi au Saguenay – Lac-Saint-Jean, dans le secteur du Lac La tombelle qui, « dans un test de Rorschach, l’étendue gelée qui s’agrandissait du sud vers le nord aurait évoqué […] une longue botte à talon. » Au nord-ouest de Saint-Félicien, ville natale de Steve Laflamme.

 

Si vous aimez les énigmes à décrypter, la première partie du roman, peut-être la plus aride, livre son lot d’indices permettant d’identifier rapidement l’auteur du texte et les personnages de ce scénario sordide.

 

Un code QR offre au lecteur la possibilité de consulter la table des matières annotée par Frédérique Santinelli du Calendrier de Tityos qui s’emploie à déchiffrer le message que veut transmettre son auteur. Un deuxième code-barres à deux dimensions fournit les résultats de l’analyse permettant d’enclencher l’action qui s’alimente de chapitre en chapitre à un rythme trépidant.

 

Et l’auteur va jusqu’à inviter subtilement le lecteur de son propre roman à repérer un anthroponyme aux composantes dissimulées dans le texte que je vous laisse découvrir.

 

Vingt-trois jours de haine permet également d’en connaître davantage sur l’évolution des relations compliquées qu’entretiennent Guillaume Volta et Joëlle, son épouse, qui conserve depuis un an et demi les séquelles de l’attaque au chlore subie à la suite de l’enquête sur les Meurtres de l’Aube relatée dans le précédent roman.

 

Le roman nous éclaire également sur le passé familial trouble et douloureux de Frédérique Santinelli, victime de manipulation et d’espionnage électronique de la part de la GRC. Dans cette portion de la fiction qui traite de violences à l’égard des femmes, Steve Laflamme en profite pour rappeler les pratiques eugénistes, qui ont eu cours en Alberta, en Colombie-Britannique et au Québec :

 

« … de 1928 à 1972, l'Alberta Sexual Sterilization Act avait, en toute légalité et en toute impunité, pratiqué la stérilisation forcée pour préserver la pureté génétique canadienne. D'abord réservée aux femmes handicapées mentalement, cette pratique avait été élargie jusqu'à englober des gens qui étaient aux prises avec des problèmes d'alcoolisme, de toxicomanie, ou encore vivant en situation de pauvreté extrême, présentant un comportement criminel – prostitution, homosexualité ou déviances sexuelles, par exemple... Il ne restait qu'un pas à faire pour inclure dans ce bassin de malheureux les membres de la communauté autochtone. »

 

« La Colombie-Britannique disposait d’une loi similaire. La stérilisation forcée existait même ici, au Québec. » « Ces femmes-là [autochtones] avaient été expatriées et stérilisées au Québec. Elles avaient été charcutées de force à Sept-Îles, à Roberval, à La Tuque... Leurs bourreaux étaient protégés par le Collège des médecins... et par le peu d'intérêt de la population concernant ce qui pouvait arriver aux Autochtones, ce qui incitait les victimes à ne rien ébruiter et à endurer. »

 

« Il y a eu des stérilisations forcées jusqu’en 2019 au Québec… »

 

Je n’en dis pas plus sur le scénario qu’a imaginé, cette « course contre la montre pour percer les secrets d’un livre mystérieux ». À vous de vous y plonger.

 

Quelques mots maintenant sur la qualité d’écriture et le style très imagé qui caractérisent la production littéraire de Steve Laflamme.

 

Ce dernier excelle dans la description laconique des personnages qu’il met en scène. En voici quelques exemples :

 

« … sa carrure d’athlète donnait à croire qu’on l’avait fabriqué en laboratoire. »

 

« … un jeune homme aux cheveux savamment disposés en bataille comme s’il avait affronté seul le moulin à vent de Don Quichotte et avait perdu le combat. »

 

« Il raclait les R comme un félin, au point que, dans un zoo, on l’aurait mis en cage. »

 

Il portait « un pantalon brun et des pantoufles qui avaient peut-être été tricotés par Marguerite-Bourgeoys. »

 

Pour la description physique de ses deux protagonistes enquêteurs, leur créateur convie son lectorat à laisser libre court à son imagination.

 

J’ai aussi noté quelques descriptions de lieux et d’ambiance :

 

« … des conifères trop empesés par l’hiver pour revendiquer leur verdure parmi les feuillus aussi dépouillés que des squelettes. »

 

« Là où le feu aurait dû valser en chauffant le chalet, l’âtre se contentait de cendres de ce qui avait jadis été. »

 

« … la baie vitrée du salon peignait le tableau du grand éveil de la forêt, patiné des traits orangés de l’aube. »

 

« Les rais d’un soleil trompeur filtraient à travers un interstice dans les rideaux qui fermaient l’œil de leur chambre à coucher. »

 

« Les lampadaires faisaient de leur mieux, mais ils n’arrivaient pas à affecter l’empire obscur de la nuit. »

 

« Il faisait si froid qu’un ours polaire aurait exigé quelques références avant de s’établir ici. »

 

« … des sapins séculaires se hissaient assez haut pour être devenus les confidents du Tout-Puissant. »

 

J’ai souri à la lecture de ce passage sur l’autoédition :

 

« … la professeure de littérature avait constaté que le livre était publié en autoédition. Elle s'abandonnait tout à fait volontiers aux bassesses des préjugés à l'égard de ces auteurs qui s'entêtent à publier même si on a refusé leur manuscrit partout où ils l'ont envoyé. Certains de ces manuscrits seraient rejetés jusque sur Mars si l'auteur osait y envoyer le fruit de son labeur, croyait-elle. »

 

Professeur de littérature au Cégep de Sainte-Foy, Steve Laflamme intègre dans son récit de nombreuses références littéraires.

 

Par exemple, Oulipo, la compression du nom de l’auteur (OUssef LIppman-POliquin) du mystérieux livre qui avait été déposé à la porte de Santinelli :

 

Elle avait vu « dès la réception du livre, en prélevant de chaque mot du pseudonyme sa syllabe initiale, ce qui donnait Oulipo. Une référence à l'Ouvroir de littérature potentielle, un groupe de recherche fondé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais, et dont l'objectif consistait à explorer des zones de l'écriture créées par l'imposition de contraintes. »

 

Et plusieurs mentions d’ouvrages et d’auteur,es tel que :

 

·        La Bible : le Code secret de Michel Drosnin qui, selon l’auteur, contient un code permettant de retrouver diverses prophéties sur l'avenir de l'Humanité ;

·        La main du bourreau finit toujours par pourrir, célèbre poème de Roland Giguère publié en pleine Grande Noirceur, « associé à la figure dominatrice conjointe de Maurice Duplessis et du clergé catholique, qui écrabouillaient toute tentative d'émancipation » ;

·        Carrie et Shining, l’enfant de lumière de Stephen King, un de ses romanciers préférés ;

·        Gardiens des cités perdues, série de romans jeunesse de Shannon Messenger ;

·        Alphonse de Lamartine ;

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Sans oublier un clin d’œil à son amie Julie Rivard, auteure entre autres de polars « empreints de sensualité » et son enquêteur Henrik.

L’auteur partage également quelques-uns de ses goûts musicaux : Floor Jansen, chanteuse néerlandaise (metal) ; The Cure, groupe rock britannique ; Arch Enemy, groupe metal ; George Thorogood, blues rock.

Et probablement un de ceux de sa fille Frédérique « la vrai Frédérique en chair et en os, en intelligence et en sensibilité, qui a inspiré par son prénom et certaines de ses propriétés idiosyncrasiques la Frédérique fictive » (Remerciements et mot de la fin) : Jimin Park, chanteur coréen.

Notons également que l’auteur s’est judicieusement documenté sur l’éventail de médicaments consommés par Frédérique Santinelli : Venlafaxine (contre l’anxiété), Naproxène (pour les maux de tête carabinés), corticostéroïdes (afin de mieux respirer), Ésoméprazole (pour les douleurs gastriques provoquées par le Naproxène et solution triesters de glycérol oxydés (pour contrôler la xérostomie, une sécheresse buccale excessive due à une forte dose de Venlafaxine).

 

Je ne saurais terminer cet avis de lecture sans citer deux extraits sur la virilité malsaine dénoncée dans cette deuxième enquête du duo Volta-Santinelli :

 

« À une autre époque, c'était la force qui marquait la virilité, qui assurait la survie, qui faisait de l'homme le pourvoyeur – le rendait utile. Plus rien de tout ça n'est encore d'actualité. Les femmes travaillent. L'homme n'a plus à chasser son gibier pour manger. Et pourtant, il n'a rien perdu de ce besoin de dépenser la testostérone qui court dans ses veines. »

 

« Tant que ‘’ mes semblables ‘’ ne comprendront pas que c’est par l’esprit et l’intelligence qu’ils doivent affirmer leur virilité, on sera dans le pétrin. »

 

J’espère vous avoir donné le goût de lire Vingt-trois jours de haine, un roman que j’ai dévoré en deux jours !


 

Steve Laflamme est né à Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean. Il enseigne la littérature (policière, entre autres) au Cégep de Sainte-Foy et il écrit, toujours dans les tons de noir sur noir.

 

 

 

Merci aux éditions Libre Expression pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****