Les jours où j’ai tué Emma (Hervé Gagnon)


Hervé Gagnon. – Les jours où j’ai tué Emma. – Montréal : Hugo Québec, 2025. – 142 pages.

 

 

Roman jeunesse

 

 

 

Résumé :

 

À la rentrée des classes, en 1978, Frédéric retrouve Emma, son amie à qui il n’a jamais pensé « comme ça ». Pendant l’été, elle est devenue une jeune femme dont il tombe éperdument amoureux. Le voilà tout à coup timide, incapable de l’aborder, de lui déclarer ses sentiments. Lassée d’attendre, elle se met à fréquenter Maurice.

Peu après, Fred apprend leur décès dans un accident de moto. La nouvelle l’anéantit. Puis tout disparaît et le voilà de nouveau au moment où il a retrouvé Emma ! Encore et encore et encore…

 

 

Commentaires :

 

La description que fait l’éditeur du 38e roman de Hervé Gagnon est suffisamment intrigante pour intéresser les jeunes lecteurs à qui il s’adresse :

 

« ‘’ Les jours où j’ai tué Emma ‘’ est une histoire d’amour autant que de science-fiction. Basé sur un fait vécu, ce récit (plus autobiographique qu’on pourrait le penser !) repose sur la théorie des multivers, c’est-à-dire la coexistence d’une infinité d’univers parallèles où toutes les variantes possibles de tous les événements existent. »

 

L’auteur qui a découpé son scénario en 12 événements dans une séquence temporelle, dans des univers qui s’entrecroisent (1.0, 2.0, 3.0, 4.0, 5.0, 6.0, 1.1, 1.2, 2.1, 2.1.2, 0 et 9 841672) et en 4 carrefours (j’y reviendrai plus loin) s’explique dans une note à la fin du récit :

 

« En 1978, j'ai vécu l'Événement 2.0. J'étais en troisième secondaire et bien trop timide pour parler à une fille formidable. À la fin de l'année scolaire, elle m'a annoncé qu'elle m'avait suffisamment attendu. Trop occupé à me morfondre pour une fille que je considérais comme inatteignable, je n'avais même pas réalisé qu'elle attendait que je l'approche! Vous connaissez la suite: Maurice, la moto, l'accident mortel. J'ai passé l'été à me torturer en me demandant: aurait-elle vécu si j'avais agi autrement ? Après toutes ces années, je me le demande encore souvent. Je crois que cet événement a largement contribué à définir mon rapport au temps et ma curiosité pour tout ce qui s'y rapporte. Ce roman est la seule réponse que j'ai trouvée. »

 

Il en résulte une fiction qui m’a rappelé [toute comparaison ayant ses limites] « Cours, Lola, cours », une production cinématographique allemande réalisée par Tom Tykwer et sortie en 1998, dans sa manière de traiter trois fois la même histoire dans un espace-temps où les choses ne se déroulent pas de la même manière. Un film que je vous recommande puisqu’il amène le spectateur à se demander « Et si... » j’étais né un instant plus tôt ou plus tard, le cours de ma vie aurait-il été différent ?

 

Dans « Les jours où j’ai tué Emma », Hervé Gagnon nous entraîne dans la théorie fascinante des multivers définis scientifiquement comme l'ensemble des univers présents concurremment, dans le cadre d'une théorie cosmologique donnée. Il en expose, lors de l’événement 4.0 (pages 60-63), les tenants et aboutissants dans un cours de science et techno auquel assiste le protagoniste-narrateur, Frédéric Boivin :

 

« [...] il est composé d'une infinité de possibilités d'univers et chaque nouveau choix engendre une nouvelle infinité de possibilités, donc une infinité de nouveaux univers dans l'infinité des univers. Chaque univers infini contient donc une infinité d'univers infinis qui se créent à l'infini. N'est-ce pas formidable ? »

 

Ce dernier, tout au long du récit, revivra la même séquence d’événements dans des variables circonstancielles résultant des choix qui s’offrent à lui. Mettant en pratique le conseil d’un « mentor » qu’il croisera dans quatre carrefours, au milieu de nulle part (une gare, une chambre d’hôpital, une cabine d’ascenseur, le hall d’un hôtel) pour déboucher quelque part et tenter d’influencer la suite des choses :

 

« Tu dois décider si tu acceptes le cours des choses ou si tu essaies de le changer. Tout est possible, mais tout entraîne des conséquences. Chaque cause a son effet et chaque effet a sa cause. Et tout se complique tout le temps. »

 

L’action se déroule principalement dans une école secondaire (polyvalente) lors de la rentrée après les vacances d’été :

 

« C’était le 4 septembre 1978 – la première journée de la quatrième secondaire. Et le début du reste de ma vie. » (dixit le narrateur)

 

« Une école secondaire, avant le début des cours, c’était comme une gare à l’heure de pointe : tout le monde courait comme des poules sans tête dans une sorte de chaos organisé, et le niveau d’anxiété était égal au niveau d’excitation. »

 

Elle met en scène cinq personnages :

 

Fred qui se présente dès la première page et qui évoque le contexte du récit :

 

« Je m'appelle Frédéric Morin. Fred pour les intimes. En 1978, j'avais quinze ans. En 1978, j'ai tué Emma. Je ne l'ai pas fait exprès. Mais je l'ai fait plusieurs fois. Chaque fois a été pire que la précédente. Et si c'était à refaire, je recommencerais sans hésiter. »

 

Emma, le coup de foudre de Fred :

 

« Ses cheveux bruns [...] étaient [...] coupés au carré aux épaules et une frange lui couvrait le front. Des lunettes rondes à monture de métal doré étaient perchées sur son nez, et ses yeux bruns [...] étaient [...] grands et expressifs. Elle était vêtue d'un chemisier en coton indien blanc, d'un jean et de sandales en cuir. »

 

Jean, le meilleur ami de Fred :

 

« Un noiraud au sourire ravageur qui se fichait de son apparence et qui avait une relation distante avec un peigne. »

 

Maurice, l’ennemi juré de Fred :

 

« Maurice Dubé. Dix-sept ans – presque dix-huit – de testostérone stupide. Une moustache. Une moto achetée avec du vrai argent parce qu'en plus, il avait un emploi, l'animal. [...] Maurice, ça ressemblait à moron

 

Et le Morse, celui qui, depuis nulle part, montre à la main, aiguillonne les différents couloirs du temps, admirablement symbolisés dans l’illustration en couverture de première :

 

« Il était aussi menaçant que le père Noël. Une énorme moustache lui couvrait la lèvre supérieure et lui donnait l'apparence d'un morse. Son gros ventre étirait dangereusement sa veste d'uniforme bleu marine ornée d'une double rangée de boutons dorés. Il portait un képi de même couleur et des bottes noires impeccablement cirées. Une chaînette dorée reliait un de ses boutons à une ancienne montre de gousset glissée dans une petite poche de sa veste. »

 

Ce roman ingénieux dans sa thématique et dans sa facture devrait donner le goût de lire à des ados. L’ordre et le désordre des événements, la récurrence d’une partie de leur déroulement doublée des variantes résultant des options que choisit Fred dans des univers parallèles en fait un tourne-page. Avec une chute finale tout à fait imprévisible.

 

Hervé Gagnon est un excellent conteur qui sait transmettre en quelques mots l’état affectif de ses personnages. Comme dans cet exemple :

 

« Les quelques morceaux de cœur qui me restaient ont éclaté en miettes. J’ai fait demi-tour et je suis reparti vers les ruines de ma vie. »

 

J’ai lu en quelques heures « Les jours où j’ai tué Emma », un exemple de roman qui illustre bien que la littérature, quel que soit le genre, est un véhicule qui, grâce à l’imaginaire créatif, voire fantastique de son auteur peut contribuer à nous éloigner du quotidien.

 

Avertissement : cette fiction, destinée à un lectorat adolescent, est susceptible de captiver tout autant des lectrices et des lecteurs adultes.

 

* * * * *


Né à La Baie, Hervé Gagnon détient un doctorat en histoire, une maîtrise en muséologie et une maîtrise en histoire. Après avoir enseigné l’histoire et la muséologie dans diverses universités québécoises et travaillé comme muséologue pendant vingt-cinq ans, il se consacre désormais à l’écriture. Hormis le fait d’inventer des thrillers et des polars compliqués (ce qui sera toujours un plaisir, jamais un travail), il aime le whisky, le blues et la guitare. Si vous le cherchez, vous le trouverez dans un petit recoin sombre de l’histoire, en train de débroussailler un petit détail que tout le monde ignore.

 

Je tiens à remercier les éditions Hugo Québec pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Originalité :

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Personnages :

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Ambiance et contexte :

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Rythme narratif :

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Cohérence de l'intrigue :

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Style d’écriture :

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Impact émotionnel :

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Développement de la thématique :

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Finale :

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Évaluation globale :

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Toutes les nuances de la nuit (Chris Whitaker)


Chris Whitaker. – Toutes les nuances de la nuit. – Paris : Sonatine, 2025. – 821 pages.

 

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

Jusqu'à ce jour de 1975, Monta Clare était une petite communauté tranquille du Missouri. Aujourd'hui, les sirènes des voitures de police retentissent dans toute la ville. Dans un quartier paisible, les habitants sont interrogés, tous doivent fournir des alibis. La raison ? Le jeune Patch Macauley a disparu. Dans la forêt voisine, on a retrouvé son tee-shirt, maculé de sang. Saint, une jeune fille au caractère bien affirmé, décide de faire tout ce qui est en son pouvoir pour découvrir ce qui est arrivé à son ami. Elle harcèle le shérif, mène sa propre enquête, cherche des pistes.

 

Les jours passent, puis les semaines. L'affaire ne fait plus les gros titres des journaux, et cependant, Saint s'obstine. Des mois plus tard, Patch Macauley réapparaît. L'affaire est réglée ? Non. Bien au contraire, il faudra des décennies pour élucider tous les mystères et faire la lumière sur ce qui s'est réellement passé durant sa disparition.

 

 

Commentaires :

 

Quand j’ai reçu le service de presse du roman, une brique de plus de 800 pages de Chris Whitaker, un auteur que je ne connaissais pas, je me suis dit « Ouf » en le soupesant (1 kilo J). L’ouvrage était accompagné de la carte professionnelle de l’attachée de presse d’Interforum Canada avec la note : « Bonjour Michel. Un très très bon polar. Dans la veine de R.J. Ellory. Vous allez adorer ! »

 

Elle avait raison. D’entrée de jeu, je vous recommande de vous laisser emporter dans cette « quête obsessionnelle », une intrigue particulièrement bien ficelée qui s’étale sur trois décennies (1975-2001), racontée en 261 très courts chapitres. Avec de nombreuses chutes et une finale inopinée.

 

« Toutes les nuances de la nuit » (en anglais « All The Colors of the Dark ») est un roman qui mêle enquête, mystère, thriller, mais aussi récit intime et de réflexion sur la perte, l’amitié, la famille et le temps qui passe. L’auteur britannique met en scène deux personnages principaux profondément humains et fort attachants :

 

·        Patch (Joseph) : un jeune garçon fragile, borgne, amateur de pirates et d’aventures, rêveur à la sensibilité débordante, marqué par ce qu’il a vécu, portant une blessure, visible et invisible, qui va définir en grande partie son destin : l’obsession de comprendre, de retrouver « Grace », celle qu’il dit avoir connue pendant sa disparition et dont il garde le souvenir, et vivre malgré le traumatisme qu’il a subi.

 

·        Saint, fidèle amie de Patch, courageuse, entêtée, moralement engagée, qui refuse la résignation, à la recherche de la vérité en talonnant la police et en menant sa propre investigation telle une boussole dans les ténèbres de ce drame.

 

Et une galerie d’individus secondaires crédibles qui contribuent à la richesse humaine du roman : Norma, la grand-mère de Saint, symbole de résistance et de mémoire familiale ; Sammy, mentor extravagant, amateur d’art, porteur de poésie ; Charlotte, la fille de Patch, qui mettra du temps à accepter les écarts de conduite de son père ; Misty, une adolescente confrontée au pire ; ou encore d’autres figures qui, malgré leurs défauts, leurs faiblesses, deviennent profondément attachantes. Chacun portant une part de souffrance, de lumière et souvent des contradictions.

 

La traduction de l’anglais de Cindy Colin-Kapen est remarquable dans son souci de restituer l’atmosphère à la fois noire, poétique et lyrique d’un récit dense, au rythme parfois haletant ou réflexif, en alternance entre les parts d’ombre et de lumière, comme l’annoncent le titre et l’illustration de la couverture de première.

 

Quelques longueurs ralentissent l’action. Elles permettent toutefois au lecteur de s’immiscer dans la dimension introspective des protagonistes. Quant au grand nombre d’événements et de personnages et les retours dans le temps, ils n’ont pas porté atteinte à mon intérêt jusqu’au dénouement inattendu de l’enquête.

 

Avec « Toutes les nuances de la nuit », Chris Whitaker nous propose un voyage intérieur duquel se dégage une émotion palpable, particulièrement en finale, suggérant qu’après un drame, et ce qu’il en reste, on tente de vivre malgré tout. Des ténèbres surgit la lumière. Par les temps qui courent, ce constat suscite l’espoir.

 

En conclusion, je pourrais citer un grand nombre d’extraits pour illustrer l’écriture riche et fluide de l’auteur. En voici quelques-uns pour vous mettre en appétit :

 

« Elle ramassa ses lunettes cassées, les chaussa, et vit le monde en fragments. »

 

« À l'âge de dix ans, il comprit que les êtres humains naissaient entiers, et que les blessures qu'ils subissaient effaçaient les différentes strates qui faisaient d'eux ce qu'ils étaient, détruisant peu à peu leur compassion, leur empathie, et leur capacité à se bâtir un avenir. À treize ans, il découvrit que ces strates pouvaient se reconstruire lorsque vous étiez aimé, et lorsque vous aimiez. »

 

« Patch savait que les rêves étaient un amalgame d'expérience et de pressentiment, de bribes de souvenirs et d'esquisses de nos actes à venir. »

 

« La fille sentait l'extérieur : un mélange de crème solaire, de chewing-gum et de fumée de bois. »

 

« Patch se réveilla en sursaut, suffoquant, les draps emmêlés autour de lui. En sueur, il se dirigea vers la salle de bains et baptisa ses cauchemars avec de l'eau froide. »

 

« Le week-end, Saint travaillait à la bibliothèque municipale de Panora. Elle s'y rendait à vélo, qu'elle laissait contre la balustrade noire, et se plongeait dans le travail avec la dévotion d'un cygne à son lac. »

 

Il ne vous reste plus qu’à vous précipiter à votre librairie indépendante ou à votre bibliothèque municipale pour vous lancer dans l’odyssée de Patch et de Saint.

 

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Chris Whitaker est né à Londres. Son premier roman, « Tall Oaks », paraît en 2016, reçoit les louanges de la critique et se voit couronné du CWA John Creasey New Blood Dagger. Avec « All the Wicked Girls » (2017), son deuxième roman, Chris Whitaker explore les thèmes de la disparition, de la jeunesse et des regrets au sein d'une Amérique dépeinte de manière magistrale. Avec « Duchess », il achève de convaincre ses pairs et les critiques littéraires, qui ont salué la beauté de son récit, devenu un livre à succès en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis. Chris Whitaker vit dans le Hertfordshire, en Angleterre, avec sa femme et ses trois enfants.

 

 

Je tiens à remercier les éditions Sonatine pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Originalité :

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Personnages :

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Ambiance et contexte :

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Rythme narratif :

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Cohérence de l'intrigue :

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Style d’écriture :

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Impact émotionnel :

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Développement de la thématique :

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Finale :

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Évaluation globale :

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