Le passeur (Franck Mancuso)


Franck Mancuso. – Le passeur. – Paris : Récamier noir, 2024. – 249 pages.

 

 

Polar « fantastique »


 


 

Résumé :

 

Gabriel Spaak, commandant à la brigade criminelle, avait tout programmé. Inconsolable depuis la mort tragique de sa femme et de son fils, il s'était isolé au milieu de la nuit pour en finir. Jusqu'à ce que ce chauffeur de taxi, surgi de nulle part, ne chamboule ses plans.

 

Moralité, au lieu de se la couler douce en enfer, il se retrouve à enquêter sur deux morts suspectes. Deux morts que la médecine légale ne parvient pas à expliquer. Deux morts que rien ne relie et sur lesquelles les policiers du 36 se cassent les dents.

 

Tandis que les éléments troublants s'accumulent et que les personnages étranges se succèdent, le mystérieux chauffeur de taxi se manifeste à nouveau et propose son aide à Gabriel. Mais en l'acceptant, le flic de la Crim' était loin d'imaginer à quel type d'individu il allait être confronté.

 

 

Commentaires :

 

J’ai beaucoup aimé ce polar « fantastique » sombre, qui m’a captivé grâce à son scénario enlevant et à ses personnages très crédibles, y compris les plus mythologiques. « Le passeur », dont le sous-titre « Naître, vivre, mourir... » pourrait être complété par « ... renaître », résume bien l’essence de l'histoire imaginé par Franck Mancuso. Pour un premier roman, chapeau ! L’auteur met à profit ses vingt ans d’expérience professionnelle, notamment au sein de la police judiciaire française, pour écrire cette histoire où le détective Gabriel Spaak mène une enquête rondement menée.

 

« Tu sais, tous ces tarés qu'on s'est coltinés quand on a fait comme moi vingt ans de Criminelle. »

 

Et celles de scénariste et de réalisateur, qui se traduisent par une écriture imagée, qui rend bien l’atmosphère du roman.

 

« ...une vingtaine de Japonais en pâmoison devant les façades du Louvre. Les perches à selfie qui dépassaient de leurs parapluies faisaient ressembler le petit groupe à un gigantesque porc-épic multicolore. »

 

« En voyant la montagne de muscles se mouvoir, Gabriel eut l'impression d'avoir devant lui le croisement improbable entre Hulk et une femelle bonobo. »

 

« Elle semblait flotter sur le sol. Elle ouvrit la porte et s’effaça pour le laisser sortir. Une danseuse en talons hauts. »

 

« Au-dessus de sa tête, le ciel avait pris une couleur de souffre et menaçait de s’écrouler. »

 

« ... un physionomiste baraqué, qui n’aurait pas été ridicule face à Shrek, lui barra le chemin. »

 

« Images psychédéliques sur écrans géants et basses à transpercer la cage thoracique. »

 

« Le mobilier semblait emprunté à la famille Addams... »

 

« ... des couples en partie, voire totalement, dénudés semblaient rejouer une version trash de la Bacchanale de Poussin. »

 

« Son occiput rencontra le béton et n’aima pas cela. »

 

« ... les nuages se télescopaient dans le ciel rouge. »

 

« En passant près du pont de l'Alma, il se prit de compassion pour le Zouave. Malgré l'eau qui lui montait jusqu'aux épaules - une première depuis la célèbre crue de 1910 -, il semblait serein. C'était bien le seul. »

 

On perçoit également l’expérience de l’auteur dans la description détaillée des scènes d’enquête et des échanges réalistes.

 

L’intrigue captivante de l’histoire est centrée sur cette déclaration clé, prononcée par le personnage principal :

 

« C'était il y a six mois... Ils avaient rendez-vous chez le dentiste. Je suis allé courir, je devais être de retour pour les accompagner. Mais le rendez-vous a été avancé. Ils sont partis sans moi. Un type a grillé un feu. Ma femme ne l'a pas vu parce qu'elle répondait à un appel... Le mien. Elle l'a percuté et elle est allée s'encastrer dans un camion qui venait en face. Mon fils est mort sur le coup. Elle, deux jours plus tard, à l'hôpital. »

 

En ce qui a trait au contexte, il s’intègre à l’allégorie mythologique du passeur Charon introduit au début de l’histoire :

 

« Les Grecs imaginaient le monde sous la forme de trois disques superposés.

Le disque central, la Terre, était celui où vivaient les mortels.

Le disque supérieur, le Ciel, était celui où vivaient les dieux.

Le disque inférieur, les Enfers, était celui des morts.

Une fois la cérémonie mortuaire accomplie, le défunt descendait aux Enfers et se présentait sur les berges du Styx, qu'il devait traverser sur la barque d'un vieux nocher après lui avoir versé l'obole que ses proches avaient pris soin de placer dans sa bouche lors de ses funérailles.

Une fois le fleuve franchi, il arrivait sur une île centrale séparée en deux parties. L'une, appelée Champs-Élysées, était le séjour des bienheureux. L'autre, appelée Tartare, était le lieu des supplices éternels. »

 

D’où le parallèle avec le centre de Paris, l’auteur s’étant rendu compte « que lorsqu’on regardait [...] de haut, l’île de la Cité, l’ancien palais de justice et les Champs-Élysées, on obtenait un exact “ copié-collé ” de la typologie des enfers grecs » (Libération, 15 décembre 2024) :

 

« Crois-tu que ce soit un hasard si le fleuve qui coule à Paris entoure une île séparée en deux parties ? Crois-tu que ce soit un hasard qu'on rende la justice sur cette île ? Crois-tu que ce soit un hasard que la plus belle avenue du monde s'appelle les Champs-Élysées ? »

 

Ce livre, que j’ai lu en quelques jours, alterne entre des scènes réalistes et mystérieuses. On y trouve un chauffeur de taxi étrange, un corbeau qui traverse la route du personnage principal, rappelant ceux du célèbre film d’Alfred Hitchcock, ainsi que des morts inexpliquées. La fin nous entraîne dans une conclusion imprévue, l’auteur ayant semé des indices tout au long des 15 chapitres.

 

Au passage, l’auteur se fait aussi pédagogue, offrant au lecteur la possibilité de s’imprégner de l’environnement de travail des enquêteurs parisiens :

 

·        L’édifice de l’institut médico-légal :

 

« 2, place Mazas. La Seine en contrebas. Les tours de verre de Bercy dans le fond. Les habitués de la ligne 5 du métro parisien connaissaient bien les flancs du bâtiment de brique rouge, coincé entre le fleuve et la rame aérienne qui, en ralentissant pour prendre le coude, émettait un grincement métallique strident à vous arracher les oreilles. L'institut médico-légal était l'endroit où atterrissaient toutes les victimes de mort violente ou suspecte de la capitale et des trois départements constituant la petite couronne. À l'époque de sa construction, en 1868, par Haussmann, l'édifice constituait l'une des sorties les plus en vogue de la ville. Les Parisiens pouvaient profiter de leur dimanche pour venir identifier des cadavres, principalement des victimes de noyade, étendus sur des tables inclinées de marbre noir disposées derrière une vitre. Aujourd'hui, la visite des lieux n'était plus synonyme de distraction. »

 

·        L'Unité de contrôle des transports de personnes de la préfecture de police (UCTP) :

 

« ... plus communément appelée Boers - déformation de l'argot bourres, qui désignait les flics dans les années 1920 -, était chargée de contrôler les taxis et les véhicules relevant de la réglementation du transport de personnes. Aucun quidam exerçant à Paris et dans la petite couronne ne pouvait leur échapper. »

 

·        Le registre des gardes à vue :

 

« Il fallait y indiquer, entre autres, l'identité de l'individu concerné, le motif de sa détention, le nom de l'officier de police judiciaire responsable de la procédure, celui le cas échéant de l'avocat, du médecin, et le prénom de son premier amour. »

 

·        L’audition de suspects :

 

« Chez les personnes auditionnées, certaines réactions se manifestent parfois sous la ceinture. Jambe que l’on croise et décroise, mains que l’on triture... Autant de signes que l’on peut – mais pas nécessairement que l’on doit – interpréter. »

 

·        Les opérations Libellule :

 

« Visite domiciliaire faite en catimini, hors du cadre légal. »

 

·        Le champ d’action de détectives privés français vs américains :

 

« Hollywood avait suffisamment perverti les esprits pour qu'un polar français sur deux parle encore de mandat de perquisition et pour qu'on puisse penser qu'un détective privé français pouvait agir comme un PI, un private investigator, américain. En fait, en France, ces mandats n'avaient jamais existé, et les détectives privés n'avaient pas plus de droits que le péquin lambda. »

 

Franck Mancuso glisse des informations qui m'étaient inconnues :

 

« Savais-tu qu'au XIe siècle, Saint Louis ordonnait aux filles de joie de se teindre les cheveux en roux pour les distinguer des femmes respectables? Et qu'à la Renaissance, les peintres associaient à la chevelure rousse une symbolique profane, évoquant le diable, le vice et le péché ? »

 

« Savez-vous que, d'après certaines croyances antiques, une veine part de l'annulaire gauche et rejoint le cœur ? Le fait de comprimer cette veine par un anneau assurerait l'amour exclusif. »

 

Je vous laisse découvrir la « liste de morts dites insolites » dont « certaines frôlaient le loufoque » que Gabriel Spaak découvre « en lançant des recherches tous azimuts » dans son ordinateur (pp. 97-98).

 

L’écrivain émet un avis critique sur le rôle de la police…

 

« La police est le camion poubelle de la planète. Une fois qu'on a compris ça, on a tout compris. On ne peut rien éradiquer. On contrôle, c'est tout. »

 

… et sur les conditions de son exercice professionnel, les décisions prises par les fonctionnaires et les magistrats qui considèrent souvent les policiers comme des auxiliaires de la justice, en plus des locaux vétustes où ils travaillent.

 

Le roman étant d’abord destiné à un public français, j’ai été confronté à des expressions argotiques telles que « discuter le bout de gras avec quelqu’un », « cavaler du métal », « faire disparaître sa glabelle », « garder sa guibole », « se faire détroncher », « sauter sur ses guiboles »... L’assistance de Google présente pendant que je lisais, m’a aidé à comprendre.

 

En conclusion, « Le passeur » est un polar captivant, original et qui m’a tenu en haleine jusqu’à la dernière page avec juste assez de fantastique pour rendre l’ensemble presque envisageable. Si vous êtes férus d’énigmes et de suspense policiers, vous adorerez certainement le roman de Franck Mancuso.

 

Son prochain livre devrait porter sur le « mythe du destin », et les mille et une manières de l’influencer. J’ai hâte de poursuivre la découverte de cet écrivain de romans policiers.

 

* * * * *

 

Franck Mancuso a travaillé pendant plus de vingt ans au sein de la police judiciaire. Aujourd'hui, il est scénariste et réalisateur. Il a notamment coécrit 36 quai des Orfèvres (nomination au César du meilleur scénario original) et a réalisé Contre-enquête et RIF.

 

Dans ce premier roman, il s'affranchit du cadre traditionnel du polar pour nous plonger dans une enquête mêlant réalisme et fantastique.

 


Je tiens à remercier les éditions Récamier noir pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Originalité :

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Personnages :

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Ambiance et contexte :

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Rythme narratif :

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Cohérence de l'intrigue :

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Style d’écriture :

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Impact émotionnel :

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Développement de la thématique :

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Finale :

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Évaluation globale :

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