Apocalypse Amerika (Jean-Christophe Portes)


Jean-Christophe Portes. – Apocalypse Amerika. – Paris : Hugo, 2024. – 420 pages.


Thriller

 

 

 


Résumé :

 

 

25 août 1944.

 

Lizzie Beresford débarque dans Paris libéré avec pour mission de trouver Joliot-Curie, le découvreur de la fission atomique. Les Alliés redoutent en effet que les savants allemands n’aient profité de l’Occupation pour conjuguer leur savoir avec celui du célèbre physicien français. Et si tel était le cas, Hitler pourrait enfin disposer de sa fameuse arme-miracle, capable d’inverser le cours de la guerre.

 

Pour Lizzie et son commando commence alors une traque sans merci, à la recherche du secret sans doute le mieux gardé du Reich. Mais dans ce terrible compte à rebours, Lizzie n’oublie pas Mo les Yeux-Bleus, l’homme qui un an plus tôt l’a arrachée aux griffes de la Gestapo. Prisonnier des camps, lui non plus n’a pas oublié celle pour qui il a sacrifié sa liberté. Celle qui peut-être pourra le tirer de l’enfer.

 

 

Commentaires :

 

« Apocalypse Amerika » est le nom attribué à une bombe atomique. Les Alliés soupçonnaient les Allemands de tenter de fabriquer cette arme pour gagner la guerre, en la larguant sur Londres et sur New York. Le roman  tombe à point en cette année de la commémoration du débarquement en Normandie en juin 1944. La fiction de Jean-Christophe Portes dont l’action se déroule sur 12 mois (août 1944-août 1945) met en scène deux protagonistes narrateurs qui côtoient un certain nombre de personnages réels de l’époque :

 

·        Lizzie Beresford, aristocrate anglaise cousine de Sir Winston Churchill, devenue espionne bien malgré elle, est intégrée à l’Opération Alsos comme « secrétaire interprète [puisqu’elle lit et écrit] aussi bien le français, le néerlandais, l’allemand que l’anglais » et dont la sœur aînée réfugiée en Allemagne depuis le début de la guerre avait épousé un SS, Hans Kammler.

 

·        Mo les Yeux bleus, truand corse notoire et proxénète, patron d'une des boîtes de nuit les plus réputées de Pigalle qui, dans un roman précédent (Oscar Wagner a disparu, 2023), a assassiné Oscar Wagner qui s'apprêtait à dévoiler un secret de nature à changer le cours de la guerre. À la suite d'une vaste chasse à l'homme en pleine Occupation, on retrouve Mo déporté dans le camp de concentration de Buchenwald. Déplacé dans une usine secrète, ce dernier sera témoin de l’essai d’un prototype de bombe nucléaire que les Allemands auraient fait exploser en 1945 dans le secteur d’Ohrdruf, un événement qui, dans la réalité, n’a jamais été corroboré.

Le scénario imaginé par Jean-Christophe Portes au moment de la libération de Paris nous fait découvrir les dessous de cette opération peu connue de la Seconde Guerre mondiale. Il repose sur une alternance du vécu de ses deux protagonistes : l’avancement de la mission dans laquelle est impliquée Lizzie (chapitres qui alimentent un suspense entretenu et efficace) ; la survie de Mo confronté aux assassinats et aux brutalités perpétrés par les gardiens, la sous-alimentation chronique des détenus, l'épuisement par le travail, des conditions d'hygiène déplorables et de l'absence de repos physique ou psychique. Les deux narrateurs, on le devine, vont survivre à leur cheminement parallèle jusqu’à un point de jonction anticipé.

Bien qu’essentiel dans le contexte, le témoignage de Mo – qui, à mon point de vue, contribue à ralentir le rythme du récit – ne m’a rien appris de nouveau sur le quotidien des camps nazis pour qui a lu maints témoignages ou visionné les abondants documentaires et les nombreuses productions cinématographiques. Comme il le mentionne en annexe, l’auteur s’est inspiré de quelques ouvrages pour raconter les « détails du terrible voyage de Mo » et relater d’autres « anecdotes, mais surtout l'esprit des camps » :  Le Laminoir (1966) de Serge Miller, un déporté qui a raconté son expérience à Buchenwald et Ellrich ; Les Jours de notre mort (1988) de David Rousset ; Si c'est un homme (1988) de Primo Levi.

Quant au matricule 51 557 que porte Mo, « c’était celui d'Albert Girardet (1925-2007), déporté à Buchenwald en mai 1944, ancien résistant et membre très actif de l'Association française Buchenwald, Dora et Kommandos. Comme beaucoup, il s'est tu longtemps, avant d'enfin se lancer dans un fantastique travail de mémoire, accompagnant de nombreux groupes d'enfants à Buchenwald, et œuvrant à la réconciliation européenne et franco-allemande. »

 

En un paragraphe, Jean-Christophe Portes résume l’objectif d’Alsos :

 

« Premièrement, vous devrez absolument trouver M. Joliot-Curie. Les nazis ont travaillé pendant toute la guerre dans son laboratoire au Collège de France. Il faut à tout prix éviter qu'ils l'enlèvent et l'amènent à collaborer avec eux sous la contrainte. Cet homme est marié et a des enfants, et vous savez de quoi les Allemands sont capables... Ensuite, vous devrez savoir quelles technologies il a livrées aux nazis. En particulier, s'ils ont copié ou volé son cyclotron, un appareil de son invention unique au monde, qui sert à traiter l'uranium. Si c'est le cas, nous pouvons légitimement craindre le pire. Ensuite il nous faudra savoir où se trouvent les stocks d'uranium commandés par la France en 1939-1940, ainsi que l'eau lourde, qui est indispensable au processus. Joliot pourra aussi nous éclairer sur les noms des scientifiques qui travaillent réellement pour le programme nucléaire allemand. Mais notre véritable priorité, notre but absolu, miss, c'est Amerika Bomber. Il s'agira de tout faire, vous m'entendez, tout, pour savoir où Hitler et sa bande d'assassins en sont avec cet engin. Vous devrez trouver Amerika et la détruire. Avant que ces fous n’aient le temps de la fabriquer... »

 

Car, « celui qui maîtrise l’atome arrêtera la guerre en moins d’une heure. »

 

J’ai noté en cours de lecture cette description sordide propre à ces récits de guerre fictifs ou réels :

 

« D'après les vêtements, je suppose qu'il s'agissait d'un homme, un civil. Peut-être qu'il a attrapé une balle perdue? Ou que quelqu'un l'a poussé? Ou bien dans un geste absurde, il aura voulu traverser la chaussée, ou toucher un char. En tout cas, quelque chose l'a fait chuter sur la route, et bien sûr le pilote du tank n'a rien remarqué depuis la meurtrière d'où il dirige son énorme machine. Il l'a tout bonnement aplati. Et ce qui une heure plus tôt était encore un être vivant, fait de chair et de pensées, d'espoirs, d'angoisses, un être qui parlait et riait, n'est plus qu'un magma muet de pulpe et d'étoffe, incrusté dans le pavé. Presque plus rien ne subsiste ni des os, ni du sang, ni des entrailles mêlés à la poussière, volatilisés, dispersés. Et quelqu'un peut-être dans un des immeubles autour cherche un père, un mari, un oncle ou un frère. »

 

Et cette réflexion de Lizzie Beresford sur l’acte de tuer un humain :

 

« C'est une chose de prendre un canard en ligne de mire, avec une élégante carabine lors d'une chasse huppée quelque part en Écosse. C'en est une autre de viser un homme dans l'intention de le tuer, les yeux dans les yeux, et je l'avoue, je n'ai pas l'âme assez mauvaise pour donner froidement la mort à mon prochain. Même si je croisais de nouveau l'une de ces ordures de la Gestapo qui m'ont torturée l'an passé. On m'a plus habituée au mépris qu'à la haine. Dans le milieu d'où je viens, les deux se valent. »

 

« Apocalypse Amerika » met aussi en évidence les rivalités opposant les forces alliées – Français, Britanniques, Américains et Russes – qui veulent se doter d’une arme nucléaire et les relations tendues entre leurs têtes dirigeantes – de Gaulle, Churchill, Roosevelt et Staline. Avec, au passage ce trait de personnalité du premier ministre britannique :

 

« Churchill, qui sait être drôle, tendre et plein de fantaisie avec ses proches, doit se donner l’apparence d’un bouledogue intraitable. »

 

Le roman est complété par une annexe « Pour en savoir plus » dans laquelle l’auteur fournit des informations sur certains personnages historiques :

 

·        Boris Theodore Pash, officier américain de renseignement militaire ayant dirigé l'opération Alsos (1900-1995) qui avait des liens avec Robert Oppenheimer, directeur scientifique du Projet Manhattan de recherche du gouvernement américain dirigé par le major général Leslie Richard Groves du corps du génie de l'armée des États-Unis dont l'objectif était de produire une bombe atomique.

 

·        Samuel Abraham Goudsmit, physicien américain d'origine néerlandaise (1902-1978).

 

·        Frédéric Joliot-Curie, physicien et chimiste français, gendre de Pierre et Marie Curie (1900-1958).

 

·        Hans Friedrich Karl Franz Kammler, ingénieur civil, administrateur et général allemand des SS ayant atteint le grade d'Obergruppenführer, un des plus hauts grades SS (1901-1945?).

 

·        Kurt Diebner, physicien allemand (1905-1964).

 

·        Wernher Magnus Maximilian Freiherr von Braun, ingénieur allemand puis américain (1912-1977) qui, « Après avoir mis au point des fusées destinées à rayer Londres, Paris ou New York de la carte, ce nazi sincère a hésité un peu avant de se mettre au service des États-Unis. Là, il a fondé la Nasa et a permis aux Américains de conquérir la lune. »

 


Et sur le bunker souterrain Jonastal S III d’Orhdruf au nord-est de la forêt de Thuringe, à 16 km au sud de Gotha, conçu comme un quartier général de dernière minute pour Hitler et son état-major s’ils devaient se replier de Berlin à l’intérieur de l’Allemagne. Jean-Christophe Portes a tiré la description et l'évacuation du complexe d'un texte du déporté Marcel Lanoiselée : Ohrdruf. Le camp oublié de Buchenwald (2005).

 

Après avoir lu « Apocalypse Amerika », la table est mise pour attaquer La bombe de Alcante, Bollée et Rodier afin de compléter le portrait de cette époque trouble de l’histoire de l’Humanité. De laquelle il faut espérer tirer des leçons à notre époque d’instabilité politique.

 

Après des études à l’École Nationale des Arts décoratifs, Jean-Christophe Portes se tourne vers le journalisme. Il a réalisé une trentaine de documentaires d’investigation, de société ou d’histoire pour les principales chaînes de télévision. En 2015, Les enquêtes de Victor Dauterive mettant en scène un jeune officier de gendarmerie sous la Révolution connaissent un grand succès. Avec L’affaire de l’Homme à l’Escarpin, Jean-Christophe Portes a remporté en 2018 le Prix polar Saint-Maur en poche. Aux Éditions du Masque, Minuit dans le jardin du manoir et Le mystère du masque sacré ont respectivement été couronnés en 2020 du Prix du polar d’aventure et, en 2022, du Prix du Masque de l’année français.

 

Merci aux éditions Hugo pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


Joseph. Les enquêtes de Joseph Laflamme 05 (Hervé Gagnon)


Hervé Gagnon. – Joseph. Les enquêtes de Joseph Laflamme 05. – Montréal : Hugo Québec, 2024. – 426 pages.

 

Thriller

 

 


Résumé :

 

Montréal, juillet 1893. Joseph Laflamme, présent près des lieux d’un meurtre, est arrêté et accusé d’avoir sauvagement massacré la victime. Il a beau crier au coup monté, les circonstances l’accablent. Sa seule planche de salut réside dans l’enquête que mène l’inspecteur Marcel Arcand. Tout en essayant de soutenir sa femme, aux prises avec une profonde mélancolie, et malgré son impression que tout s’effondre autour de lui, Arcand est confronté à un cruel dilemme: céder au chantage ou laisser Laflamme être incriminé injustement.

 

 

Commentaires :

 

La cinquième enquête de Joseph Laflamme m’a happé dès les premières pages pour me propulser à nouveau dans l’univers historico-romanesque imaginé par Hervé Gagnon. « Joseph », cette nouvelle aventure est la suite logique du tome précédent, « Benjamin ». Il y est encore une fois question des fameux documents destinés à Benjamin Franklin dont on croyait qu’ils demeureraient cachés pour des siècles à venir.

 

Dans ce nouvel opus aussi caractérisé par un souci de l’auteur à mettre de l’avant la dynamique des relations interpersonnelles et familiales des principaux personnages, les assassinats continuent de s’enchaîner. Avec le recul, comme les enquêtes de Joseph Laflamme s’étalent sur à peine deux ans, force est de constater que ce dernier, et les membres du petit groupe qui s’activent avec lui pour résoudre les énigmes auxquelles ils sont confrontés mènent une vie plutôt mouvementée.

 

Hervé Gagnon récidive avec la même recette en dosant et en mixant les ingrédients indispensables pour nous servir un plat de gastronomie littéraire qui suscite notre intérêt par son imbrication dans une réalité historique et l’intégration de personnages réels tels que :

 

·        Hugh McLennan (1825-1899), marchand et homme montréalais d'origine écossaise qui « avait des airs de Saint-Nicolas ».

·        Jonathan Saxton Campbell Würtele (1828-1904), juge et homme politique québécois aux « rouflaquettes abondantes et sa calvitie partielle… »

·        Charles Luman Knapp (1847-1929), homme politique américain qui fut consul général des États-Unis à Montréal entre 1889 et 1893.

 


Encore une fois, l’auteur campe son récit, dès les premières lignes du prologue, dans un de ses sujets de prédilection, l’univers des sociétés secrètes qui « ont la mauvaise habitude d’exister en couches superposées qu’il faut éplucher une à une, comme un oignon… » :

 

« Les quinze hommes avaient le même air austère. Ils ne portaient que des costumes foncés. Ils n'avaient nul besoin de robe, de capuchon ou d'autres artifices extravagants. Contrairement aux francs-maçons, aux rose-croix, aux nouveaux Templiers et à toutes les autres sociétés de carnaval qui aimaient à se dire secrètes, leur ordre n'était connu que de ses quinze membres. Leur influence était inversement proportionnelle à leur nombre, et elle grandissait sans cesse. À eux seuls, ils pouvaient pratiquement acheter le pays tout entier, même si personne ne le soupçonnait. Dans cette pièce, on décidait souvent des politiques de la nation, mais aussi de la vie et de la mort de certains de ses citoyens. Ceux qui étaient éliminés ignoraient tout de ceux qui avaient prononcé leur condamnation. »

 

Il est entre autres question du Complot des Illuminati, théorie conspirationniste selon laquelle la « société de pensée » allemande des Illuminés de Bavière poursuivrait un plan secret de domination du monde en infiltrant les différents gouvernements et les autres sociétés initiatiques, dont la franc-maçonnerie. Et du Skull and Bones aussi connu par les anglophones sous les noms « Chapter 322 ». Le nombre 322 correspondant au numéro de la salle de l’édifice où se réunissait le groupe.

« Chacun portait néanmoins une bague à l’annulaire de la main droite et, si un observateur indiscret avait pu se pencher dessus, il y aurait vu le chiffre 322 très finement gravé et à peine perceptible. »

 

Le prétexte est parfait pour pimenter l’enquête de messages nébuleux extraits de la Bible …

 

« Un peu à la manière de Jack l’Éventreur, l’homme annonçait son crime et lui disait ‘’ attrapez-moi si vous le pouvez ‘’. »

 

… et de marques tout aussi énigmatiques laissées sur le front d’un des cadavres :

 


Comme dans les tomes précédents, la structure du récit nous tient en haleine tout en nous faisant découvrir des détails de la vie quotidienne montréalaise au milieu du XIXe siècle tel que « l’évier de pierre », « la cafetière en grès », « la tasse en grès », « les roues ferrées sur le pavé ». Aussi de certaines traditions maçonniques : la « triple bise » et les funérailles :

 

« Un à un, les membres de la loge des Cœurs-Unis avaient défilé devant le cercueil fermé qu'ils avaient payé de leur poche. Dessus, on avait drapé le tablier maçonnique du mort, sur lequel ils avaient tour à tour déposé une branche d'acacia en prononçant tous la même formule : ‘’ Adieu, ami et frère. Tes travaux sont achevés. Que ce repos soit dans une paix parfaite ‘’. »

 

Les descriptions de personnages sont toujours aussi savoureuses :

 

« … les pommettes rondes lui donnaient un air jovial quand il souriait, transfigurant la tête à faire surir la crème qu’il arborait par principe et qu’il s’entêtait à décorer d’une épaisse moustache en fer à cheval. »

 

« Dans la soixantaine, le cheveu blanc et rare, flottant légèrement dans son costume gris foncé, le visage glabre aux bajoues d'épagneul, Amable Berthelet semblait avoir jauni et séché avec ses papiers dans son cabinet. »

 

Et que dire du style le style de l’auteur comme l’illustrent bien ces quelques exemples :

 

« … un regard à effriter le ciment. »

 

« … une œillade d’une aigreur à faire tourner le lait. »

 

« … un regard à flétrir un bouquet de marguerites. »

 

Déclarer « avec la froideur d’un vent de février. »

 

Depuis le début de la série, Hervé Gagnon a eu la bonne idée d’intégrer des portions de dialogue dans la langue de George McCreary, ex-agent de Scotland Yard, avec traduction en bas de page. Et de souligner un trait de caractère de la sœur de Joseph, Emma Laflamme, lorsqu’elle insiste pour qu’on l’appelle « mademoiselle » et non pas « madame ».

 

J’ai noté au passage trois informations glissées dans le récit.

 

D’abord celle concernant le mont Royal, « cette nature soigneusement aménagée [dès 1874] par M. [Frederick] Olmsted » reconnu à l'époque comme le plus éminent architecte paysagiste du continent américain.

 

Celles sur l’émergence à cette époque de nouvelles techniques visant à identifier un suspect :

 

« Arcand considéra un moment l'enveloppe et le document. Il avait entendu dire qu'en France on arrivait maintenant à lire les marques invisibles que laissaient les doigts sur les objets et qu'il n'y en avait pas deux pareilles. On prétendait que la méthode était assez fiable pour, un jour, permettre d'identifier des criminels. Il aurait souhaité disposer d'une telle arme. Malheureusement, on n'en était pas là. »

 

Et sur la popularité des drogues et des poisons utilisés au XIXe sècle pour assassiner : « De deux poisons, il faut choisir le moindre. »

 

D’ailleurs, je ne crois pas me tromper en affirmant que l’auteur en profite pour lancer un clin d’œil à un certain Dr Thomas Neill Cream, un tueur en série ayant sévi à cette époque au Québec, aux États-Unis et en Angleterre duquel il semble s’être inspiré en partie en introduisant le personnage de Donald Kirkpatrick :

 

« … médecin écossais, avait émigré au Canada avec en poche un diplôme de la prestigieuse université d'Édimbourg. Il n'avait fallu que quelques années pour qu'une carrière prometteuse soit compromise par un penchant marqué pour la bouteille. Les erreurs et les comportements erratiques se multipliant, le docteur avait fini par perdre successivement sa réputation, son droit de pratique et, enfin, sa femme et ses enfants. Il s'était alors tourné vers le quartier du Red Light, où les services d'un avorteur, même dangereux, étaient toujours recherchés par les filles de joie malchanceuses. »

 

En terminant, sans divulguer les tenants et aboutissants de l’intrigue, je ne peux m’empêcher de citer ces deux extraits (en lien avec les fameux documents destinés à Benjamin Franklin dont il est question dans « Joseph » et dans « Benjamin », l’enquête précédente) qu’il est intéressant de mettre en perspectives dans le contexte des relations Québec-Canada contemporaines :

 

« Avec tous les Canadiens français qui ont encore la Confédération de 1867 de travers dans la gorge, qui sait ce qui se passerait si on apprenait que la Province de Québec avait accepté de devenir américaine voilà un siècle ? […] La nouvelle serait peut-être suffisante pour déclencher des rébellions aussi graves que celles de 1837. […] La Province risquerait de se retrouver à feu et à sang, avec la répression et tout le reste. Le gouvernement du Canada paierait certainement beaucoup d'argent pour étouffer l'affaire plutôt que de courir le risque. »

 

« Au fait, Laflamme, hier, notre ami le juge Baby a reçu un télégramme d'un collègue fonctionnaire à Ottawa qui connaît son intérêt pour les papiers précieux. Il paraît que des documents très rares ont été livrés à la bibliothèque du Parlement. Ils sont si secrets qu'ils ont été enfermés dans un coffre-fort dont seul le premier ministre détient la combinaison. […] Mais pourquoi le gouvernement fédéral les conserverait-il au lieu de les détruire ? […] Pour le moment, il veut empêcher qu'ils entraînent la sécession de la Province, […], mais qui sait si, un jour, il ne voudra pas la provoquer ? En politique, il ne faut jamais dire jamais. »

 

 

Merci aux éditions Hugo Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : ***** 

Ni pleurs ni pardon (Vincent Quivy)


Vincent Quivy. – Ni pleurs ni pardon. – Paris : Éditions de l’observatoire, 2023. – 232 pages.

 

 

Roman

  

 

 

 

Résumé :

 

L'attente, quand on a 17 ans, brûle plus encore que le soleil de Palma - mais attendre quoi ? Un signe de son père, activiste en cavale, qui exige son silence pour échapper aux autorités? L'aide d'une bande de déserteurs, menaçants et armés, qui défilent dans le salon maternel ? Ou le retour de ce mystérieux agent du gouvernement promettant à l'ado la liberté s'il livre son père ?...

 

Notre héros, lui, a d'autres préoccupations: le surf, les cours, les filles... et ce garçon, Esteban, surgi dans sa vie comme une déflagration. Quand ce nouvel ami lui propose de tout plaquer pour le suivre, son destin bascule. Doit-il trahir son père et abandonner sa mère ? Fuir sans se retourner vers la France et les vagues du Pays basque ?

 

 

Commentaires :

 

« Ni pleurs ni pardon » est un roman émouvant avec son narrateur personnage qui s’exprime à la deuxième personne du singulier et qui se pose en témoin des événements. L’auteur y aborde des thèmes comme :

 

·        la clandestinité,

·        le renseignement,

·        l'activisme politique,

·        l’amitié et l’amour,

·        la trahison,

·        la liberté, 

·        l’emprise des liens familiaux

·        les actions des parents sur la vie de leurs enfants.


Raconté dans un contexte de fuite en avant, comme l’illustre bien la couverture de première, la cavale permanente du héros qui court dans une « nuit sans fin », un adolescent à la recherche d’une vie normale, à la dérive jusqu’à la cinquantaine. Intéressante cette référence à Jack Kerouac « qui a beaucoup traîné avant de se lancer » … « une fuite lente et indifférente, inexorable, sans fin ni but, dans un désert aride ».

 

Le récit est construit sur une enfilade de chapitres qui s’enchaînent au rythme des anniversaires du personnage principal. Il tient le lecteur en haleine jusqu'à la découverte de l’interlocuteur – le « tu » intrigant, peu fréquent dans l’écriture romanesque – à qui s’adresse le protagoniste. Le scénario s’insère dans un ensemble de faits et de personnages réels, l’auteur étant lui-même journaliste et historien :

 

·        la guerre d’Algérie,

·        la tentative d’attentat contre de Gaulle,

·        la Guerre civile espagnole,

·        le franquisme,

·        la chasse aux indépendantistes basques,

·        l’Organisation armée secrète (OAS),

·        Lluís Llach… 

 

Avec comme résultat un roman très documenté dans lequel se placent progressivement (voire lentement) les prémisses de ce drame qui s’accélère jusqu’à une finale sur un ton d’espoir.

 

L’histoire du jeune héros coincé entre la trahison de son père à l’égard de la nation et la survie face aux menaces de mort et aux poursuites à travers l’Espagne et l’Amérique qui s’étale sur une quarantaine d’années. Elle dégage une certaine forme de nostalgie envoûtante avec un personnage en soif d’émancipation qui gagne rapidement la sympathie et l’empathie du lecteur.

 

Ce récit est appuyé par une belle écriture parfois mélancolique et un style fluide facile à lire. Comment rester insensible en suivant le parcours de ce jeune homme « qui veut simplement être libre, libre de ses mouvements, de ses choix et de ses opinions, qui veut se décharger de cet héritage encombrant », celui de son père. Et ne pas être touché par cette réflexion :

 

« … on est des vagabonds et [on] est né pour courir ».

 

 « Ni pleurs ni pardon » que j’ai beaucoup aimé m’a aussi rappelé des lieux que j’ai visités : Valence, Barcelona, Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-Pied-de-Port… Le roman était en lice pour le Prix littéraire Québec-France Marie-Claire-Blais 2024-2025.

 

Vincent Quivy est journaliste et historien. Il est aussi l’auteur d’un roman policier, Brutal Beach : Avis de tempête sur Toulon et la côte (Wartberg, 2016) et de plusieurs essais : Les soldats perdus. Des anciens de l’OAS racontent (Seuil, 2003), Chers élus. Ce qu’ils gagnent vraiment (Seuil, 2010), La Justice sous Sarkozy (Seuil, 2012), Qui n'a pas tué John Kennedy ? (Seuil 2013), Jean-Louis Trintignant. L'inconformiste (Seuil, 2015), Alain Delon, ange et voyou (Seuil, 2017), Les 99 jours de Cohn-Bendit (L’archipel, 2018), Incroyables... mais faux ! Histoires de complots de JFK au Covid-19 (Seuil 2020), Nous, les enfants de 1967 (Wartberg, 2020), Nous, les enfants de 1991 : de la naissance à l'âge adulte (Wartberg, 2020) et Rue d'Aubagne, Marseille. Quand l'histoire d'une rue raconte la France (Du rocher, 2024)

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****