Le crime du garçon exquis (Ronald Lavallée)


Ronald Lavallée. – Le crime du garçon exquis. – Montréal : Fides, 2024. – 307 pages.

 

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

Matthew Callwood a fui les forêts sauvages du Nord canadien pour un continent de ruine et de boue. Alors qu’il pense avoir enfin largué sa vie de policier, une enquête troublante l’y replonge. Bertie Quilliams, un jeune soldat, est accusé d’avoir tué son rival amoureux à la sortie d’une maison close.

 

Si les généraux exigent des preuves qui mèneront le coupable tout désigné au peloton d’exécution, Callwood doute qu’il s’agisse d’une simple affaire de mœurs. Mais par où commencer sa mission quand la scène de crime est un vaste champ de bataille ? À qui faire confiance dans ce pays qui regorge d’espions ? Et puis, que vaut la justice des hommes lorsque tout le monde est complice de la plus grande tuerie de tous les temps ?

 

 

Commentaires :

 

« Le crime du garçon exquis » est un autre roman auquel je n’hésiterais pas à donner 6 étoiles. Bien que ce thriller captivant ne soit pas rempli de rebondissements inattendus, il se distingue par sa représentation authentique et poignante de la Première Guerre mondiale. Dès les premiers chapitres, l’auteur, Ronald Lavallée, plonge le lecteur au cœur de l’enfer des tranchées, où règnent les tirs d’artillerie constants, les conditions de vie difficiles et l’horreur quotidienne vécue par les soldats :

 

« Soixante hommes sales dorment dans une étable, épaule contre épaule, dans la paille ou à même la terre battue. Depuis huit jours, ils ne se sont ni dévêtus ni déchaussés. Ils sentent mauvais. Leurs uniformes sont raides de crasse. Les figures et les mains sont terreuses. Seuls les fusils sont propres: c'est le règlement. Ils dorment avec détermination, les poings serrés, prêts à casser la gueule à quiconque se mettrait en tête de les réveiller. »

 

Comme le souligne l’analyse de Michel Bélair publiée dans Le Devoir le 9 novembre 2024 :

 

« Bien au-delà de l’intrigue, c’est toutefois le ton du roman et la précision dévastatrice de l’écriture de Lavallée qui captivent tout du long. Sa description des tranchées et du sentiment qui habite les soldats entassés dans la boue, l’ébahissement frénétique de ces hommes face à l’intensité quotidienne qui les fait littéralement craquer, tout cela donne à son histoire une crédibilité totale soutenue par des personnages solides et attachants. Malgré la dureté du sujet, voilà un livre tout en nuances qui ne laissera personne indifférent. »

 

L’histoire se déroule en Flandre (Belgique), au printemps 1916, à l’approche de l’offensive allemande, tandis que l’ancien policier du Grand Nord, Matthew Callwood, personnage principal de « Tous des loups », a rejoint l’armée canadienne. Il reçoit la mission de mener une enquête « en cinq jours, six pas plus » afin de confirmer l’exécution d’un « garçon exquis » au sujet de qui une série de questions se soulèvent tout au long du récit. Quel acte criminel grave est reproché au détenu originaire des Cantons-de-l’Est ? Ses penchants homosexuels ou le meurtre qu’il aurait perpétré ou dont il serait l’auteur présumé ? La réponse se cache-t-elle dans la découverte d’un « carré de drap [qui] porte deux boutonnières… » ? Ou est-ce plutôt dans les ailes de deux moulins à vent ?

 

Dans sa quête de vérité, Callwood fréquente deux personnages du précédent roman, devenus ses camarades : Conrad Morneau (Moïse Corneau) et Frederick Simpson, un ancien joueur de polo qui lui a volé sa fiancée, Pamela.

 

Je ne m’étendrai pas davantage sur le récit soigneusement élaboré par Ronald Lavallée, qui met en évidence les compétences littéraires exceptionnelles de l’auteur, grâce à une documentation approfondie.

 

L’armement :

 

La baïonnette française qui « laisse une trace particulière » : « ... quelqu’un, un jour, a dessiné cette arme, lui a donné la pointe et les arêtes précises pour transpercer la peau et les organes, pour refermer la plaie en se retirant... ».

 

Les ballons d’observation et les aérostiers, « étoile stationnaire [qui] s’allume et s’éteint à mi-ciel » ; les fusils Lebel et Ross ; les bicylindres Douglas ; les bombes faites « avec des boîtes de confiture de prunes » ; les « grenades en forme d’ananas » ; et les nouvelles armes qui sortent tous les mois : « Les gaz, les lance-flammes, les fusées électriques: il va venir un moment où plus personne ne pourra faire la guerre. Parce qu'on va se massacrer tous. »

 

L’habillement des soldats :

 

« La plupart des soldats au parapet ne portent que la traditionnelle casquette de laine. », les montres à radium, les casques d’acier dans les tranchées. 

 

L’environnement olfactif et sonore :

 

L’« odeur de chimique et de pourriture » qui se mélange à celle omniprésente des gaz d’échappement des véhicules.

 

« L’air se teinte d’une odeur de charogne ».

 

« Une alouette fuse vers le ciel et mitraille le pré de ses notes extatiques. Des canons lointains tonnent derrière le petit bois. »

 

« Les moustiques violonent. Les hirondelles et les martinets sillonnent le ciel pâle en poussant leurs chants de crécelle. »

 

« Le chant des grenouilles devient incommodant. Un vrai vacarme. [...] Si les coassements avaient été aussi forts le soir du meurtre, on aurait pu ne pas entendre un coup de revolver depuis la ferme. »

 

« Un rossignol, de l'autre côté de la toile, s'est égosillé toute la nuit. Le chant du rossignol est joli pendant une minute ou deux. Mais ces trilles extatiques lancés dans la nuit noire, coupés de silences étonnés, comme si l'oiseau captait un message de l'autre monde, sa manière d'y répondre par un long sifflement mélancolique, finissent par peser sur l'âme. »

 

Le quotidien des soldats :

 

« On rentre la tête dans la tranchée, comme un chien de prairie dans son terrier » alors que les officiers se tiennent loin des unités de combats.

 

 « Vous êtes dans la tranchée. Vous tirez à travers la fumée sur une masse d'hommes mouvante. Le terrain est tout retourné. Quand on porte le masque à gaz, on ne voit rien. On ne sait plus si on fait feu sur un Allemand ou sur un tas de boue. » 

 

« Sur toute la ligne des Flandres, jamais une journée sans attaque ou contre-attaque. Mines pour mines, gaz pour gaz, grenades pour grenades. Il se perd un millier d’hommes par jour dans le secteur sans qu’il y ait d’offensive majeure. Au QG, on appelle ça du ‘’ gâchage ‘’ ».

 

« Au début de la guerre, les officiers ennemis pouvaient conclure une trêve pour récupérer les blessés et les morts. Ça se fait moins. On s’accuse, de part et d’autre, d’avoir tiré sur les secouristes. »

 

L’existence de bordels réservés aux officiers, « une faible lampe bleue » à leurs fenêtres ou rouge pour les simples soldats.

 

L’alimentation :

 

Au Collège Saint John’s House où a étudié Matthew Callwood : « ...  les petits pois gris en conserve, les œufs morveux, la purée de pommes de terre délayée à l'eau, ou les tranches de corned-beef rissolées dans la poêle, [...] le foie-de-bœuf aux oignons, ces lambeaux noirâtres, doucereux, truffés d'artères invisibles qui craquent sous la dent et vous donnent le frisson. »

 

Dans les tranchées ou au camp militaire : le café qui goûte le chlore ; le « gras ragoût de mouton et [les] fayots » ; les morceaux « de mouton combatif » ; les lampées de rhum matinales ; et, pour les officiers des rôtis de porc ou, au déjeuner, « biscuit marin et bacon avec beaucoup de graisse, le mets préféré de la troupe. Prunes confites pour le transit. Et pour secouer les neurones, un thé noir, sirupeux, sucré, qui est le bienvenu. »

 

Les descriptions de lieux :

 

« Des centaines de tentes cloches ont poussé à la place des betteraves. »

 

Le « bois tapissé de jacinthes bleues ». Même « les fleurs sauvages ont un petit air cultivé. » Elles « vont se faner ; elles en sont à leur dernière journée de gloire. Comme si elles avaient attendu l'arrivée du lieutenant pour laisser tomber leurs robes somptueuses. »

 

« Le chêne sous lequel ils s’assoient fait lever un monticule ... [et] ... offre une douce pente bien drainée contre laquelle s’incliner. [...] fait aller ses yeux sur les fleurs sauvages qui profitent avec joie de la disparition des vaches. »

 

Une maison flamande : « Murs épais passés à la chaux. Poutres noircies par les lampes à pétrole. Âtre en briques encrassées de suie. Meubles locaux en bois lourd, cirés et polis par des générations de rudes mains féminines. Mais contrairement aux autres maisons flamandes où il est entré, pas un crucifix, pas une madone, pas le moindre saint aux couleurs naïves. »

 

« Il est dans la zone de tir des canons ennemis. Les champs retournés par les obus flamboient; les coquelicots sont en fleur.

Jamais il n'y en a eu autant. Les paysans ne les toléraient pas dans leurs cultures. À présent, les fleurs sanglantes sont partout, formant des rivières écarlates dans les champs désertés.

Les hommes disent que les coquelicots se nourrissent du sang des morts. C'est injuste. La plante raffole des sols dérangés, voilà tout. On prétend que les obus, en éclatant, enrichissent la terre de nitrates. »

 

Les descriptions de personnages :

 

« Cheveux roux, cou brûlé au rasoir, pomme d’Adam d’exception, oreilles diaphanes prenant le large. »

 

Il « entre dans la maison et prend sa place sans un mot. Il apporte à table un petit parfum de sueur de cheval. »

 

La découverte de nouvelles expressions :

 

·        « Courir la bouline » : punition qui consiste à faire passer un délinquant entre deux haies d’individus qui le frappent avec des garcettes ou boulines.

·        « Munitionnette » : femme travaillant dans une usine d’armement en temps de guerre.

·        « Batman » : serviteur d’officier, du français « homme de bât ».

·        « Maconochie » : ragoût en conserve qui entre dans les rations des soldats.

·        « Redcaps » : casquettes rouges de la police militaire britannique.

·        « Montre-bracelet pour gaucher » dont la « couronne [est] située de l’autre côté du boîtier. »

·        « Berdaches » : travestis sioux.

·        « Gotha » : bombardier biplan allemand.

·        « Dixies » : sorte de sceaux fermés remplis de ragoût.

·        « Sceau à charbon » : casque d’acier des soldats allemands appelés ainsi par les Britanniques.

 

Malgré le côté sombre et parfois insupportable du récit (comme cette scène à la page 159 d’un mulet pris au piège dans un trou d’obus), Ronald Lavallée a incrusté quelques touches d’humour comme l’illustrent bien ces extraits :

 

« Ils aiment tout ce qui vient de l’Écosse, sauf les Écossais ».

 

« L’accent canadien c’est... c’est large, c’est flamboyant, c’est comme la Normandie en plus rigolo. »

 

Il « passe comme l’éclair entre le camion et les énormes roues de fer de l’obusier. Il récolte des insultes au passage, dont un ‘’ tabarnâk ‘’ bien senti : il a rejoint le 22e bataillon du Québec. »

 

« – La prochaine fois qu’il y aura une guerre, je propose qu’on la tienne en Saskatchewan. On aura les pieds au sec, tout au moins.

– Le défi sera de trouver des gens prêts à s’entretuer pour la Saskatchewan. »

 

On découvre aussi les récentes avancées en matière de transfusion sanguine réalisées à l'époque aux États-Unis.

 

« Les médecins de l'armée de Sa Majesté procèdent encore par transfusion directe entre donneur et receveur, sans trop se soucier des groupes sanguins, avec incision ouverte des veines et coagulation partielle du sang dans le tuyau de caoutchouc entre les deux bras. Le docteur Tupper, lui [qui a étudié à New York], fait transiter le sang dans une bouteille stérilisée, paraffinée pour éviter la coagulation. Il n'a pas besoin de la présence physique du donneur et peut contrôler très exactement le volume de sang transmis. »

 

Sur les « plaisirs » des déplacements en aéroplane :

 

« Callwood lui parle du bruit insensé du moteur, de la flexibilité des ailes qui tressautent en vol et qui ont l'air de vouloir se détacher, du sentiment de déraper quand l'avion s'incline, des trous invisibles qui truffent le ciel — « Hein! des trous!» -, qui vous font perdre vingt mètres d'un coup en vous décrochant l'estomac. »

 

Et en ce qui a trait à certains aspects culturels :

 

« Pour un Européen, se donner le bras entre hommes est tout naturel. Mais pour un Canadien, c’est gênant en diable. »

 

Finalement, j’ai noté quelques passages notables :

 

« Des fleurs de fumée grise, chacune s’ouvrant sur un œil de flamme, survolent les crêtes. »

 

« Une rivière d’étoiles s’allume au-dessus de la tranchée. »

 

« La longue Molly [monture de Callwood] a une allure chaloupée qui vous berce comme un landau sur ressorts. »

 

« Une voix ensommeillée s’élève d’une couverture couleur de glaise. »

 

« On n’endure pas de voir les animaux souffrir. Mais quand un blessé chiale trop, on lui dit de la fermer ».

 

« Le chemin le plus bref entre deux preuves [...] est parfois un long détour. »

 

Quel hasard de terminer la lecture de ce thriller captivant juste avant le 11 novembre, date anniversaire de l'Armistice qui a mis fin à la Première Guerre mondiale, célébrée chaque année en Europe et dans les pays du Commonwealth.

 

* * * * * 


Ronald Lavallée, qui a été journaliste et réalisateur à Radio-Canada, est l’auteur de plusieurs livres. Il a remporté le prix Champlain pour son roman « Tchipayuk » et le prix St-Pacôme du meilleur roman policier pour « Tous des loups ». Il réside dans les Cantons-de-l’Est au Québec.

 

Je tiens à remercier les éditions Fides pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Une mémoire de lion (Guillaume Morrissette)


Guillaume Morrissette. – Une mémoire de lion. – Laval : Saint-Jean éditeur, 2024. – 414 pages.

 

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

Juin 2023. Padou, un homme aux compétences sociales limitées qu’on voit beaucoup à vélo dans Trois-Rivières, se commande un Blizzard au Dairy Queen de la rue Royale. Il présente une carte de crédit. Transaction refusée.

 

Au même moment, Paul Sioui, policier de la Sûreté du Québec à Cap-de-la-Madeleine, reçoit le signalement d’une tentative de fraude. On vient d’essayer d’utiliser la carte Visa de Marie-Julie Lebel, qui se serait noyée dans le fleuve Saint-Laurent en août 1995.

 

Que faisait Padou avec la carte de crédit de la disparue ?

 

Vingt-huit ans après cette mystérieuse disparition, les enquêteurs Gary Demers et Paul Sioui unissent leurs forces à celles des agents Brigitte Soucy et Jean-Sébastien Héroux, souhaitant fermer une fois pour toutes ce vieux dossier. Mais comment ouvrir le dialogue avec Padou et le lion en peluche qui lui sert d’interprète ?

 

 

Commentaires :

 

Guillaume Morrissette conclut sa note de remerciements en souhaitant « J’espère avoir réussi à vous faire évader un peu ! »

 

Pour une évasion, c’en est une belle ! J’ai lu d’un trait ce tourne-page où je n’ai pas pu décrocher de l’intrigue, une enquête procédurale hors du commun :

 

« Ce qu’on fait [...], c’est pas mal le contraire de tout ce qu’on enseigne en matière de procédures d’enquête ».


Son dénouement repose sur un témoin insolite. L’ensemble est très crédible. L’auteur s’est notamment renseigné auprès d’intervenants du milieu : « le sergent-détective Dominic Roberge, de la Sûreté du Québec, que j’ai inondé d’appels, car je voulais tout savoir de son métier » et « Pierre Allen, magistrat ».

 

Tout d’abord, « Une mémoire de lion » est un polar qui met en scène des enquêteurs de la Sûreté du Québec et du Service de police de Trois-Rivières. Pour une fois, ces détectives collaborent étroitement, ce qui procure une grande satisfaction à leurs protagonistes :

 

« Sur la courte route du retour entre le poste de la SQ et celui de la police municipale, Héroux se fit la remarque que les forces policières gagnaient beaucoup à collaborer. »

 

Et que dire de ce témoin sympathique dans la cinquantaine, autiste (atteint d’hypermnésie, de mémoire eidétique ou du syndrome du savant) qui possède tous les détails « encodés » dans son cerveau sur les événements qui se sont déroulés 28 ans plus tôt. Une idée de scénario audacieuse nous laisse ébahis devant un Rainman québécois dont les chiffres, les odeurs, les visages, les plaques d’immatriculation, les distances (de la Terre à la Lune : 384 400 km), les dates de naissance (Albert Einstein : 14 mars 1879), les heures précises (heure de sa première rencontre avec quelqu’un : 1 h 10 minutes !!!) et même les caractéristiques des éléments chimiques sont profondément enregistrés dans sa mémoire prodigieuse.

 

« ... son cerveau fonctionne comme une base de données, faut juste que tu utilises la bonne requête. »

 

Pour passer un bon moment, notez sur un carnet un petit tableau qui indique, au fil des révélations, quelle personne est liée à quel numéro dans une série chronologique.

 

« 318. Un homme seul. 320, un couple en pleine conversation. D'un coup, 328. Un groupe. Non, 331.

Ils parlent fort, ils s'amusent. Ils s'approchent de l'eau.

Cinq garçons. Six filles.

328 s'éloigne vers la gauche. 325 se dirige vers le stationnement. Il s'assoit. 321 et 327 s'embrassent. 332, un homme qui marche rapidement. 335, deux hommes et une femme. Une BMW blanche passe devant Padou et se gare dans le tout dernier espace, face à l'eau. 325 se lève et se rend à la fenêtre côté passager du véhicule.

On entend une conversation. 328 s'approche à son tour. »


Le titre « Une mémoire de lion » évoque une peluche chérie par l’autiste Padou (Patrice Douville) qui sert de « façade entre le monde normal » et le sien. Il s’agit d’Aslan, le protagoniste principal de la série de sept romans de fantasy pour la jeunesse « Monde de Narnia », écrite par l’Irlandais Clive Staples Lewis.

 

L’intrigue parfaite, écrite dans un style fluide, se déroule sur 67 chapitres organisés chronologiquement. L’enquête débute le 12 juin 2023 et se poursuit jusqu’au 16 juin 2023. Elle révèle progressivement des indices et des preuves qui se confirment grâce à des événements survenus les 18 et 19 août 1995 au Parc portuaire de Trois-Rivières et en 2003, ailleurs dans la région. Elle remonte également dans l’enfance de Padou dans les années 1970 et 1980. Chaque chapitre est positionné sur une ligne du temps pour guider le lecteur.

 

L’histoire se déroule dans le centre-ville de Trois-Rivières. En quelques mots, l’auteur y installe le décor :

 

« Depuis que la municipalité avait décidé de transformer la rue des Forges, entre les rues Champlain et du Fleuve, en voie piétonnière, on avait l'impression que le tourisme avait explosé. Des terrasses pleines à craquer, des artistes dans la rue, des mendiants, des étrangers en visite, des spectacles un peu partout et même le Cirque du Soleil à l'amphithéâtre. »

 


Parc portuaire de Trois-Rivières

 

Tout comme dans de nombreux romans policiers, la numérisation récente des archives policières facilite les recherches dans les enquêtes passées :

 

« Regarde ça, proposa-t-il en tournant son écran d'ordinateur. Les fichiers numérisés, c'est la meilleure affaire qui nous soit arrivée. J'ai tous les événements consignés entre le 10 et le 30 août 1995, ici, dans un seul document. »

 

J’ai également remarqué ces deux passages particulièrement visuels :

 

« Les nuages n’avaient pas pleuré et le soleil était réapparu. »

 

« Dans un cri digne du légendaire guerrier écossais William Wallace, ce dernier hurla :

– Je le jure ! »

 

Je n’en dirai pas plus, si ce n’est de vous inviter à vous précipiter chez votre libraire indépendant pour vous procurer ou à emprunter auprès de votre bibliothèque publique ce roman fascinant de Guillaume Morrissette que le Journal de Montréal qualifiait en 2018 de « surdoué inépuisable ».

 

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Chargé de cours à l’UQTR, , Guillaume Morrissette a obtenu le Prix d’excellence en enseignement, la plus haute distinction honorifique décernée à un chargé de cours, ainsi que le Prix des lecteurs du Salon du livre de Trois-Rivières en 2016  et 2017. La maison des vérités était son premier roman. Il fut suivi de la série de romans policiers mettant en scène l’inspecteur Héroux. Depuis son adolescence, cet écrivain polymathe est un membre actif de Mensa Canada. Il vit à Trois-Rivières.

 

Plusieurs de ses romans mettant en scène l’inspecteur Héroux ont obtenu plusieurs prix, dont le Prix du Premier polar, le Prix Coup de cœur du Club de lecture, tous deux de la Société du roman policier de Saint-Pacôme, le Prix Arthur-Ellis, le Prix des nouvelles voix de la littérature, le Prix AQPF-ANEL ainsi que le Prix Arts Excellence, catégorie Livre de l’année.

 

Je tiens à remercier les éditions Saint-Jean pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, il est possible de commander votre copie du livre sur le site leslibraires.ca et de le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****

Welsford (Claude Guilmain)


Claude Guilmain. – Welsford. – Sudbury : Éditions Prise de parole, 2023. – 269 pages.

 

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

« Des ossements ont été découverts sous une piscine à Don Mills. Il se trouve que, dans les années 70, j’habitais en face de la maison où on a déterré le corps. L’inspectrice-chef du Service de police de Toronto m’a invité à me joindre à l’enquête. J’ai accepté.

 

Ça me fait drôle de revenir dans ce quartier. À l’époque, les grandes terres agricoles au nord de Toronto se transformaient à vue d’œil en zones résidentielles. On se promenait en muscle cars [type d'automobiles américaines propulsées par un moteur surdimensionné], on fréquentait les diners et les cinémas de quartier, et les premiers centres commerciaux ouvraient leurs portes. »

 

Roman policier qui a pour toile de fond un phénomène des plus américains, le développement des banlieues dans les années 1970, Welsford ouvre une perspective unique sur Toronto, une métropole où tout est marchandable, même la vérité.

 

 

Commentaires :

 

« De toutes les mères de notre square dans la communauté de Welsford, [elle] était, sans contredit, la plus belle. On allait à la piscine juste pour la voir en bikini jaune prendre un bain de soleil ou, si on avait un peu de chance, la voir sortir de la piscine, son maillot presque transparent sur sa peau ruisselante. D'une beauté frappante, [elle] avait une grande qualité, rare tant chez les hommes que chez les femmes. Elle était authentique. Avec mes amis ou avec leurs parents, elle était toujours spontanée, sincère. Et surtout, elle ne portait pas de jugement. »

 

Voici qui décrit parfaitement la femme en première page de couverture du premier roman policier de Claude Guilmain, qui a remporté le prix Jacques-Mayer 2024 décerné par la Société du roman policier de Saint-Pacôme lors d’un gala où Isabelle Richer, journaliste judiciaire, était l’invitée d’honneur :

 

« Ce premier roman de Claude Guilmain est un souffle d’air frais dans l’univers du polar. Une plongée dans le passé, sur le territoire d’anciennes terres agricoles du nord de Toronto transformées en zones résidentielles camouflant le sordide sous l’eau chlorée des piscines. La description d’une époque révolue relève d’une fine analyse sociologique sans pour autant tomber ni dans la nostalgie ni dans l’iconographie, laissant tout l’espace à des personnages complexes, animé d’une sagacité peu commune, et porteurs d’émotion. L’écriture, simple et vivante, se met au service d’un récit sans temps morts, qui se faufile entre communautés et cultures du grand Toronto, et où on assiste, fascinés, à la révolution industrielle de cette grande ville ontarienne. »

[Genevière Lefebvre, présidente du jury]

 

Olivier Lasser a conçu l’emballage coloré à partir d’un « mixed-media collage « de l’artiste torontoise d’origine montréalaise Josée Duranleau intitulé « Réflexion ». Ce choix contraste avec la noirceur du récit, mais il permet de rassembler toutes les pistes entourant le contexte de l’enquête sur un meurtre commis à Welsford, une banlieue de classe moyenne de Toronto.

 

« ... le dimanche matin, catholiques ou protestants, tout le monde se mettait sur son trente-six pour aller à la messe : complets cravates, manteaux de fourrure (ma mère avait un chapeau de vison qui lui donnait une allure prétentieuse), bijoux, parfums... »

 

Claude Guilmain a imaginé un scénario dans lequel il dévoile progressivement des détails délibérément flous dès les premières pages, incitant le lecteur à les déchiffrer au fur et à mesure :

 

·        Que vient faire ce quatuor d’ados – Chuck, Dutch, Coopersmith et Jim – passionnés de cinéma et qui, en juillet 1969, se retrouvent devant un écran de télé pour assister avec fébrilité au décompte du lancement de la fusée Apollo 11 ?

·        Qui est Franck, cet enquêteur narrateur semi-retraité du service de police de Toronto qui se montre prompt à s’emporter ? Auquel se joignent son collègue, le policier Miloud Benslimane d’origine algérienne et l’inspectrice-chef aux homicides, Joan Bishop.

·        Et Charlie, Ben et Betty Howard, Chezz, Pete dont le père était « directeur des ventes d’une firme américaine », Betty Anderson et son « look d’actrice de cinéma », la famille Martella et François Duchesne ou Duchezney ?

 

Les péripéties dramatiques de « Welsford » sont bien ancrées dans les années 1966, 1969, 1970 et 2019. L’auteur nous fait habilement passer d’une époque à l’autre pour finalement découvrir, avec surprise, qui est responsable. Après quelques rebondissements, il nous explique, dans un chapitre, ce qui s’est vraiment passé en juillet 1969.

 

Tout au long de l’histoire, de nombreuses références temporelles ancrent le récit imaginaire dans une réalité historique :

 

·        la projection du film Easy Rider ;

·        Neil Armstrong le premier homme à mettre le pied sur la Lune ;

·        Franck O’Connor, fondateur de la chocolaterie Laura Secord qui a « légué ses terres aux De La Salle Brothers of the Christian School [Frères des écoles chrétiennes] qui, en1950, avaient érigé, en décalage avec tout le paysage, un important séminaire qui trônerait, au milieu des champs, pendant vingt ans », démoli en mai 1970 dont une illustration graphique que je n’avais pas remarquée est insérée en page liminaire ;

 

 

·        la Connor House et la Maryvale Farm ;

·        Mike Harris, premier ministre conservateur de l’Ontario de 1995 à 2002 et sa « Révolution du bon sens » ;

·        l’Expo 67 ;

·        la visite en 1984 du Pape Jean Paul II à Downsview ;

·        l’Aviation royale canadienne basée à l’aéroport de Downsview « depuis l'entre-deux-guerres » ou « la compagnie de Havilland y avait développé de nombreux projets » ;

·        la conception, « dans les années 50, du « moteur à réaction Orenda pour l'avion de chasse AVRO Arrow » et l’annulation, un certain « Black Friday » de « l'Arrow, l'un des programmes aéronautiques les plus innovateurs au monde à l'époque. Victoire de courte durée du Canada sur les États-Unis, qui nous avaient rapidement forcés à abandonner le projet. En retour, ils nous « offraient » leurs missiles, déjà obsolètes. »

·        Bombardier Aerospace qui gérait l’aéroport depuis des années : « mais la multinationale québécoise était à la croisée des chemins, l’avenir du développement de la C-Series étant encore incertain » ;

·        et les impacts du développement des banlieues dans les années 1970.

 

Et cette omniprésence des cigarettes et la mention d’un briquet « Zippo avec, en relief, le drapeau américain » ayant appartenu au père d’un des personnages qu’un « soldat américain « y a donné quand y était en Corée :


« [...] plonge la main dans son sac, en sort un Zippo, un objet qui me semble étrange dans sa main fine. Je le prends et je passe le pouce sur le motif du drapeau américain. »

 

« Je déchire le bout de l’enveloppe et je laisse glisser le Zippo dans ma main. Je passe le pouce sur le relief du drapeau américain. »

 

« [...] sortit le paquet de sa poche et alluma une cigarette avec son Zippo. »

 

J’avais un doute sur la langue parlée à la québécoise de certains personnages : « Oussé qu’y est passé, lui ? ».

 

Lors d’une conversation sur Messenger, Claude Guillemain m’a confié qu’il y a « très peu de " Franco-ontariens " de souche à Toronto. Les francophones, surtout dans les années 1960, [dont lui] étaient d'origine québécoise. Je suis né sur la rive sud de Montréal, tout comme mon protagoniste, et je parle français comme un Québécois, et anglais comme un anglophone sans accent. Et je sacre allégrement dans les deux langues, parfois dans une même phrase. »

 

Il est impératif de souligner l’interrogatoire en juillet 2019 d’un suspect qui s’étale sur 27 pages : certainement une pièce d’anthologie dans la littérature du crime en terre francophone d’Amérique.

 

Et les deux interventions de l’enquêteur, l’une initiale et l’autre finale, avec le cycliste imprudent qui pédale tout en écoutant de la musique et en envoyant des messages texte, conduisant finalement à un accident impliquant une dizaine de véhicules, causant ainsi la mort d’un motocycliste. Cette situation offre à l’agent de police l’opportunité de satisfaire sa soif de vengeance grâce à la méthode du « lancer du marteau aux Jeux olympiques ».

 

J’ai vraiment apprécié la qualité de l’écriture de l’auteur, comme en témoignent ces exemples :

 

« C'était modeste comme endroit. Quatre booths en bois et une demi-douzaine de tabourets chromés au comptoir y accueillaient quotidiennement une clientèle composée en majorité d'ouvriers de Scarborough qui venaient y luncher. Comme à l'habitude, peu d'achalandage dans le diner ce soir-là. On aurait dit une toile d'Edward Hopper. »

 

« Pendant quelques secondes, c’est l’impasse. L’embouteillage parfait. Personne ne peut avancer ni faire marche arrière. Comme dans un film muet, les passants nous voient tous hurler sans nous entendre. »

 

« Les salles d’attente sont tapissées de gens incapables de passer plus de cinq secondes sans vérifier leur portable. »

 

« Un photographe m'a déjà dit qu'il faut chercher à voir au-delà du cadre quand on regarde une photo. Que ce qui se trouve à l'intérieur du cadre n'est qu'un moment figé dans le temps et que, parfois, le photographe en fait partie. »



« Une quarantaine de kilos en trop, quelques touffes de cheveux blancs, des bajoues churchilliennes et le front plissé comme un
Shar-Peï lui donnaient l’air fatigué d’un homme plus vieux que son âge. »

 


Tout comme dans plusieurs romans policiers, l’écrivain utilise probablement les pensées de son personnage principal pour exprimer ses propres convictions.

 

En ce qui concerne la classe politique :

 

« Je n'aime pas les politiciens. Je ne suis pas plus libéral que conservateur, en principe, mais pour une raison que je ne comprends toujours pas, les plus insignifiants semblent toujours se trouver dans le camp des conservateurs. »

 

« Habile simulateur d’empathie et d’enthousiasme, [il] était devenu, comme tout politicien, un croisement entre un vendeur de chars usagés et un curé. »

 

Sur les responsabilités de la gent masculine :

 

 « ...les hommes peuvent si facilement se dissocier de leurs responsabilités. Leur implication dans le processus de procréation est à certains égards tellement minime qu’ils ont tendance à l’oublier. »

 

Et sur l’aide médicale à mourir :

 

« Ça serait tellement plus digne de rassembler ses proches et de leur dire merci et adieu pendant qu’on a encore toute sa tête. Ben non, y faut être mourant pour avoir le droit à l’aide médicale à mourir. »

 

Un passage m’a fait sourire, me rappelant un souvenir d’enfance que j’ai inclus dans un recueil intitulé « Limoiloustalgie », publié en 2022 :

 

« De la fenêtre, je vois le Don Mills Plaza où mon père se faisait couper les cheveux chez Mario's toutes les deux semaines. J'aimais regarder le barbier passer la lame de son rasoir sur une longue bande de tissu, puis l'aiguiser sur la ceinture de cuir accrochée à sa chaise. J'aimais aller chez le barbier avec mon père. C'était calme, propre, et l'atmosphère, conviviale. J'aimais ça écouter les histoires des clients, les blagues de mononcles. »

 

Claude Guilmain est un auteur de la francophonie canadienne à découvrir, comme probablement plusieurs autres, dont les productions littéraires mériteraient une meilleure diffusion. « Welsford » est un polar à la fois intrigant et captivant, que j’ai dévoré du début à la fin. J’ai eu un grand plaisir à lire ce tourne-page que je vous recommande chaudement.

 

* * * * *

 

Auteur, concepteur, scénographe et metteur en scène, Claude Guilmain est originaire de La Prairie, au Québec. Sa famille déménage en Ontario lorsqu’il a huit ans. En 1969, ils s’installent à Cedar Rapids, aux États-Unis, pour une année, pour ensuite retourner en Ontario où il fréquente l’école secondaire Étienne-Brûlé à Toronto. Par la suite, il entreprend ses études universitaires en anglais au département de théâtre de l’Université d’Ottawa et travaille comme accessoiriste et directeur technique au Centre national des Arts. En 1985, il retourne à Toronto où il amorce une carrière de mise en scène au théâtre anglophone et en effets spéciaux au cinéma et en publicité. Il est cofondateur du Théâtre La Tangente, compagnie de création de Toronto.

 

Claude Guilmain a signé quatre pièces : « L’Égoïste » (1999), « La Passagère (2002), « Requiem pour un trompettiste » (2010), la trilogie « Americandream.ca » (2019 - finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général) et un récit poétique « Comment on dit ça, « t’es mort, en anglais » (2012) créés par le Théâtre la Tangente.

 

Comme cinéaste, il a réalisé plusieurs documentaires pour l’Office national du film du Canada, dont « Sur la corde raide », qui revient sur les raisons du refus canadien d’intervenir en Irak en 2003 aux côtés des États-Unis (lauréat du Prix Gémeaux, Meilleure émission ou série documentaire : histoire et politique 2020 ; finaliste pour le Allan King Award for Excellence in Documentary Directors Guild of Canada).

Il est aussi l’un des créateurs du projet interactif de l’ONF VIMY : « Mémorial vivant – Le pèlerinage numérique » (finaliste, Prix NUMIX 2023 – Production web). Il a également réalisé avec l’ONF trois portraits pour les Prix du Gouverneur général : « La sentinelleFrançoise Faucher » (2010), « Urgence de dire – Brigitte Haentjens » (2017) et « L’art d’écouter – Lynda Hamilton » (2020).

 

 

Merci aux Éditions Prise de parole pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer dans votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****