La mémoire du labyrinthe (Steve Laflamme)


Steve Laflamme. – La mémoire du labyrinthe. – Montréal : Libre Expression, 2025. – 410 pages.

 

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

Qui se lance dans un labyrinthe doit s'attendre à y croiser le Minotaure… En exil au Nunavut, là où tout a débuté pour elle, Frédérique Santinelli essaie de se faire oublier… jusqu'à ce qu'une veuve éplorée lui demande son aide, depuis Québec, pour concevoir un hommage littéraire à son défunt mari. Par bonté d'âme, et poussée par une curiosité dangereuse, Santinelli plonge dans l'univers labyrinthique du grand écrivain Jorge Luis Borges.

 

Mais elle constate rapidement, avec la complicité du lieutenant-détective Guillaume Volta, qu'elle ne participe pas à un hommage : elle prend plutôt part à une traque visant à limiter les dommages et à rendre à la famille d'un mort ce qu'on a enlevé au cadavre. Parce que l'intensité du deuil peut occasionner de terribles dérives.

 

 

Commentaires :

 


D’entrée de jeu, « La mémoire du labyrinthe », le troisième tome de la série mettant en vedette Frédérique Santinelli  et Guillaume Volta, est un tourne-page que j’ai dévoré en quelques heures. Ne vous inquiétez pas si, comme moi, votre culture littéraire n’a pas été enrichie par la lecture des essais, des poèmes et des nouvelles considérés comme des classiques de la littérature du XXe siècle de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges (1899-1986). Steve Laflamme vous entraînera dans une aventure captivante et accessible, digne des meilleurs polars.

 

Encore une fois, l’auteur originaire du Lac-Saint-Jean, nous lance un défi : tenter de résoudre une énigme à la fois mystérieuse et effrayante au gré des indices dissimulés tout au long d’un récit « à lire et à relire », dans un labyrinthe maléfique, projet insensé permettant d’assouvir le mal-être d’un des personnages.

 

Ce roman stimule l’esprit des lectrices et des lecteurs grâce à un scénario au rythme haletant dont l’action se déroule principalement en alternance entre le Nunavut (à Qamani’tuaq) et North Hatley, dans les Cantons-de-l’Est. Il démontre magnifiquement que « des divers bonheurs que peut procurer la littérature, le plus élevé [est] l’invention » (dixit Borges).

 

Ce polar, plus noir que le noir, dénonce les actes racistes (comme la « réinstallation », la stérilisation des femmes, l’opération « Surname »...) perpétrés par des membres du gouvernement canadien « guidés par un patron invisible : la culture de l’époque » envers des communautés inuites. Il révèle les dessous de « l’ombre glaciale » du passé de Frédérique Santinelli, tout en nous faisant découvrir plusieurs aspects de la culture de ce groupe de peuples autochtones vivant dans les régions arctiques du Canada. Le roman met aussi en lumière les dérives potentielles découlant d'un deuil inaccepté par un être psychologiquement fragile.

 

Steve Laflamme enseigne la littérature au cégep de Sainte-Foy. Aussi les nombreuses références littéraires (telles que L’Odyssée d’Homère, poète aveugle comme Borges qui « a perdu la vue à cinquante ans » ; Michel Serres, philosophe ; Mark Danielski, auteur du roman La Maison des feuilles mettant au défi les « conventions physiques » ; Michel Pleau et son recueil de poésie « La Traversée de la Nuit » ; Amélie Nothomb – « L’hygiène de l’assassin »...) citées dans cette sombre histoire contribuent à enrichir la trame dramatique.

 

Au passage, je me suis demandé si l’auteur de « La mémoire du labyrinthe », qui a déjà publié 13 ouvrages (romans, recueil de nouvelles...), n’avait pas glissé dans un dialogue entre Guillaume Volta et Timothée Baez aussi professeur de littérature la déclaration de ce dernier pour décrire sa mission en tant qu’écrivain :

 

« J'enseigne pour payer l'épicerie, mais ce qui me passionne, c'est l'étude du littéraire. Et il y a ici quelque chose à étudier. L'érudition carburant à une émotion extrême – la solitude qui émane de la perte – afin de créer une œuvre malveillante. »

 

Comme je l’ai déjà mentionné dans des avis de lecture précédents, la qualité de l’écriture et le style imagé de l’auteur se confirment dans ces extraits qui apportent un contrepoint à l’obscurité du récit :

 

« La décoration sobre était rehaussée par des murs de lambris foncé qui accentuaient le sentiment enveloppant qu’on ressentait dès qu’on entrait. »

 

« Condiments sur la tablette du haut et, tout au fond, un contenant de féta qui fit grimacer Alfie quand il l’ouvrit. Volta connaissait des détenus, à la prison d’Orsainville, qui devaient se sentir moins seuls que ce fromage. »

 

« Un mensonge dans l’oreille d’un étranger n’était rien d’autre qu’un poisson arraché. À une mer où personne ne va pêcher. »

 

Il « attrapa l’acoustique du téléphone comme un ours happerait un saumon dans sa rivière de prédilection pour la pêche à la mouche. »

 

« ... plus ébouriffé que la situation politique au Moyen-Orient... »

 

« L’homme qui venait d’entrer arborait une tignasse noire posée sur sa tête comme un tertre de foins rebelles sur une île exotique. »

 

« Le vent exprimait en ce jour une colère sans bornes. »

 

« Sur l’écran de son appareil, le reflet de son visage lui renvoya l’image d’une femme soucieuse qui se triturait les lèvres avec l’ongle du pouce. »

 

« Un nouveau silence donna l’occasion à un rapace d’ululer sa faim. »

 

« L’inconnu s’affala sur le plancher avec la disgrâce d’une vieille guenille. »

 

« La boule dans son plexus aurait concurrencé en grosseur un ballon de plage. »

 

« Mai était bien entamé, mais la forêt du parc national n’avait pas reçu le mémo, ainsi qu’en témoignait un couvert de neige diaphane, percé par endroits de trous auxquels consentait l’hiver, poussé dans ses ultimes retranchements. »

 

J’ai découvert que « BOLO » (Be On the Lookout) est une « ... expression de la police signifiant à toutes les unités de rester à l’affût, l’instruction visant à permettre de retrouver une personne d’intérêt qui est recherchée. » Et aussi que « ...Borges a ni plus ni moins inventé le concept de l’hyperlien... ».

 

J’ai presque cru à l’existence d’une application informatique nommée « UAgain » qui, grâce à l’intelligence artificielle, pourrait générer un « hologramme de l’être cher [décédé] permettant à la personne endeuillée de discuter avec lui, comme s’il vivait encore. »

 

Une bonne part de l’intrigue repose sur les efforts de Guillaume Volta pour accéder aux étages de la Maison Rouge dans le but de trouver les indices cachés devant permettre de résoudre l’énigme au cœur du récit. Il m’est apparu plus ou moins cohérent, de la part d’un policier chevronné, que ce dernier ne réquisitionne pas une assistance technique externe équipée du matériel approprié. Alors qu’il fait appel à des ambulanciers afin de secourir son collègue blessé.  

 

Je ne peux passer sous silence ce passage relatif à « La bibliothèque de Babel », « un texte bouleversant, autant pour l’exploration que Borges réussit à faire de l’illusion d’infini que parce qu’il remet en question le libre arbitre du créateur ».Il m’a à la fois intrigué et interpellé sur les limites humaines de la création littéraire et de la lecture de la production éditoriale :

 

Selon Borges  « la bibliothèque de Babel contient toutes les possibilités mathématiques qui existent, soit le résultat de quatre cent dix multiplié par quarante, multiplié par quatre-vingts, multiplié par vingt-cinq. Le nombre est astronomique, vertigineux, et il donne une illusion d'infini tant il est énorme. Mais [...] la bibliothèque n'est pas infinie, il y a une fin à la quantité de tous ces livres possibles, excepté qu'aucun humain n'aurait le temps, dans toute une vie consacrée exclusivement à la lecture, de lire tous les livres. »

 

[...] « tous les livres existent déjà, potentiellement, sauf qu'une majorité d'entre eux n'ont pas encore été écrits ! Le prochain best-seller existe, en théorie [...]. Il reste à son auteur à agencer les paramètres afin de le créer en tant qu'objet physique. Mais il est bien là, virtuellement ! »

 

Et Steve Laflamme de faire ajouter par son personnage spécialiste de l’œuvre de l’écrivain né à Buenos Aires :

 

« Imaginez une guitare. On sait déjà qu'il y a un nombre de notes fini, prédéterminé dans la gamme musicale, n'est-ce pas? Le manche d'une guitare compte vingt-quatre cases, chacune traversée par six cordes. Cela nous donne cent quarante-quatre notes possibles, bien que plusieurs d'entre elles soient identiques. Là où je veux en venir, c'est que sur cette guitare se trouve déjà, du moins potentiellement, la mélodie du prochain hit numéro un des palmarès! C'est hallucinant, non ? »

 

[...] « Borges évoque une espèce de déterminisme qui remet en question le rôle de l'auteur dans la création littéraire : si toutes les combinaisons existent déjà en théorie, jusqu'à quel point peut-on affirmer qu'un auteur crée quoi que ce soit ? Son œuvre n'est peut-être que le fruit du hasard. Si Victor Hugo n'avait pas existé, ou même s'il avait choisi d'être autre chose qu'écrivain, le roman Les Misérables n'aurait peut-être pas encore été écrit [...] peut-être qu'un écrivain produirait ce roman dans cinq cents ans. »

 

J’ai lu « La mémoire du labyrinthe » en utilisant le moteur de recherche dont le nom a pour origine le terme mathématique qui désigne un nombre commençant par 1 suivi de cent zéros. Ce qui m’a aidé à combler certaines lacunes dans ma connaissance des références télévisuelles et cinématographiques, notamment pour comprendre l’expression se la jouer à la Jason Bourne ou Dirty Harry) ou vérifier l’existence ou la création fictive de certains lieux. C’est ainsi que j’ai découvert que le Lac Labyrinthe est un véritable plan d’eau situé dans la Réserve faunique des Laurentides, à environ 8 kilomètres au sud de L’Étape.

 

Dans ses précisions et ses remerciements, l’auteur énumère les poèmes de Borges dont il s’est inspiré pour donner des titres aux 97 courts chapitres (sauf un), répartis en quatre parties. Il a reproduit un code QR qui permet de vérifier dans quels textes un des personnages a puisé les phrases composant les courriels envoyés à Santinelli. Un autre code-barres à deux dimensions fournit les réponses aux énigmes que l’auteur a élaborées pour « titiller l’intelligence » des lectrices et des lecteurs comme Borges aime aussi le faire.

 

Le tout complété par un aperçu des albums ou compilations musicales qui l’ont inspiré et qui l’ont accompagné pendant l’écriture de son roman.

 

Quant au dernier chapitre, il recèle « un aspect qui sera au centre du prochain tome de la série », ultime défi lancé par Steve Laflamme en déclarant : « Tu sais à quel point j’aime jouer avec ton esprit, à la fin de mes romans... »

 

Le commentaire de Marie Hélène Poitras, écrivaine et journaliste québécoise, sur le bandeau intégré à la couverture de première est particulièrement approprié :

 

« Laflamme, en totale maîtrise de ses monstres, déploie un univers fascinant, toujours au bord d’imploser ».

 

Grâce à ses chapitres qui nous poussent à continuer de lire et à ses personnages aux profils psychologiques soignés, à ses dialogues naturels et percutants, à ses nombreux rebondissements et à ses traits de génie, « La mémoire du labyrinthe » s’adresse aux amateurs de littérature policière qui apprécient les intrigues bien ficelées tout en rendant un hommage bien senti à Borges. Dans la foulée de María Kodama, veuve et héritière universelle de l’écrivain argentin, qui fit aménager à Venise le majestueux Labirinto Borges pour célébrer « l’apport incommensurable de son mari à la littérature ».

 



 J’ai relevé trois corrections à apporter lors d’une réimpression :

 

·        sauf erreur, à la page 60, l’action se passe à Qamani’tuaq et non à Québec ;

·        à la page 90, le nom de l’avenue Jean de Quen s’écrit Jean-de Quen, avec un trait d’union ;

·        à la page 147, il faudrait lire « lieutenant-gouverneur du Québec » et non du Canada.

 

* * * * *

 

Steve Laflamme est né à Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean. Il enseigne la littérature (policière, entre autres) au Cégep de Sainte-Foy et il écrit, toujours dans les tons de noir sur noir. Publiée aux Éditions de l'Homme, sa série mettant en scène l'enquêteur Xavier Martel, déclinée en trois volets, a reçu un chaleureux accueil des amateurs de thrillers.

 



Je tiens à remercier les éditions Libre Expression pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Originalité :

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Personnages :

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Ambiance et contexte :

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Rythme narratif :

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Cohérence de l'intrigue :

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Style d’écriture :

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Impact émotionnel :

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Développement de la thématique :

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Finale :

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Évaluation globale :

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